Tous les candidats de l’élection européenne ont eu la même sensation étrange : livrer une campagne discrète, quasi clandestine, sur un sujet qui passionnait pourtant tous ceux que l’on rencontrait. C’est pourquoi le faible taux de participation (43%) n’a pas surpris. D’où vient ce fâcheux paradoxe ? Comment y porter remède ?
La raison principale est commune à tous les pays de l’Union. L’élection européenne est perçue comme un vote sans enjeu de pouvoir immédiat : pourquoi se déplacer ? Voilà belle lurette que trop d’électeurs, notamment parmi les jeunes, ne considèrent plus le vote comme un acte civique fondamental, à la fois premier droit et premier devoir du citoyen d’un pays démocratique, mais comme une corvée facultative. Un quart de siècle après la première élection du Parlement européen au suffrage universel, ni les pouvoirs publics, ni l’Education nationale, ni les partis politiques, ni les médias n’ont fait beaucoup d’efforts pour informer nos concitoyens sur le fonctionnement des institutions européennes. L’Assemblée de Strasbourg paraît bien lointaine, ses pouvoirs confus, et l’électeur n’a pas le sentiment que son vote changera quoi que ce soit à un scénario inconnu écrit d’avance. Alors, à quoi bon ?
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L’Europe s’est construite depuis un demi-siècle de manière paradoxale. Toutes les initiatives importantes ont été prises par les gouvernements, et notamment par le couple franco-allemand, c’est-à-dire par ceux qui avaient le plus à perdre en terme de pouvoirs, ainsi transférés à Bruxelles. Tandis que les citoyens, qui y étaient spontanément favorables et qui avaient le plus à y gagner, n’ont été invités qu’exceptionnellement à se prononcer sur les grands choix.
Cette époque est désormais révolue. Nous assistons depuis deux ans à l’irruption irrésistible des citoyens et de leurs représentants dans le débat européen.
La première percée a été la réunion de la Convention européenne. C’est à cette assemblée, réunissant des élus de tous les Parlements nationaux d’Europe, que les dirigeants européens ont confié l’élaboration du premier traité de la grande Europe. Le résultat a dépassé les espérances les plus optimistes. Il est proposé de passer de l’Europe économique et monétaire à une Europe politique, de l’Union des gouvernements au mariage des peuples, et d’un système de décision obscur et peu efficace à un régime transparent et pleinement démocratique : bref, de remplacer un traité ordinaire par une Constitution, règle de vie commune des 450 millions de citoyens européens.
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Si l’on veut que le débat européen dépasse le degré zéro au niveau duquel il est resté lors des consultations populaires précédentes, il faut partir des réalités de la France, de l’Europe et du monde de 2004, et non des vieux préjugés des années 60.
1 – La construction européenne est engagée depuis plus d’un demi-siècle. Elle s’est poursuivie pendant et après la guerre froide, à raison, en moyenne, d’un traité tous les trois ans, la réussite dans un domaine particulier conduisant à ouvrir de nouveaux chantiers, et la réussite globale lui attirant sans cesse de nouveaux candidats.
Voilà maintenant près de vingt ans (traité de 1985) que l’Union européenne exerce une compétence législative : le Conseil d’Etat estime que plus de la moitié des nouvelles règles de droit applicables chaque année en France sont décidées désormais dans le cadre européen et non plus au seul niveau national. L’Union a un budget de 100 milliards d’euros, équivalent à près de 30% du budget français. Elle dispose d’une monnaie. C’est elle qui nous représente (depuis quarante ans !) dans les négociations internationales les plus importantes pour notre économie : le commerce des marchandises et des services, l’environnement. Elle est même en train de se doter de moyens militaires, et ce sont ses états-majors qui prendront prochainement le relais des Américains pour diriger les forces de maintien de la paix en Bosnie aussi bien qu’en Afghanistan.
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If we want the European debate to get off the ground, which it failed to do throughout the recent round of public consultation, our starting point should be the real situation in France, Europe and the world in 2004, not some old prejudices dating from the 1960s.
1 – The construction of Europe began more than half a century ago. It was pursued during the Cold War, and has been pursued ever since, by means of new treaties at average intervals of three years, as the success of the Community in particular fields has opened up new areas of activity and its success in general has attracted more and more new applicant countries.
Almost twenty years have now passed since the Single European Act, signed in 1986, gave the European Parliament legislative powers. The French Council of State estimates that more than half of the new statutory provisions that enter into force each year stem from decisions made at the European level rather than purely national decisions. The Union has a budget of €100 billion, equivalent to almost 30% of the French budget. It has its own currency. It is the Union that represents us – which it has done for no less than 40 years – in the international negotiations with the greatest impact on our economy, namely those on trade in goods and services and those on the environment. It is even in the process of equipping itself with military capabilities, and its headquarters will shortly take over command of the peacekeeping forces in both Bosnia and Afghanistan from the Americans.
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One of the developments for which we find it most difficult to account in our analyses of contemporary society, strangely enough, is the revolutionary transition from a state of chronic warring to one of perpetual peace. This ‘peace revolution’ is at least as important as the transformations wrought by the democratic revolution in the political world or by the Industrial Revolution. However, whereas the storming of the Bastille, the invention of the motor car or the spread of the contraceptive pill were spectacular occurrences and/or were immediately apparent to anyone, it has taken a very long time indeed for everyone to realise that, at least in Europe, the historical curse that was as old as humanity itself, namely the recurrent disease of tribal warfare, has been cast out ‘once and for all’. To be more precise, while every one of us has been convinced of this for a long time, we have not understood the dramatic upheavals that have accompanied it, radically changing the whole concept of life in society. Colonial wars, the Cold War and, to a lesser extent, the wars in the Balkans and the terrorist threat have delayed the dawning of this realisation.
Let us examine the full implications of this development. The most apt comparison is that of a contagious disease. This evil that has plagued humanity in epidemic or endemic form has now been eradicated on the European continent, as in North America and in the southern hemisphere, between Australia and New Zealand. This does not mean that the countries in these parts of the world are safe from any kind of domestic organised violence or, of course, that they have nothing to fear from the outside world: nationalist violence still rears its head in Ireland and the Basque Country, extremist groups plant bombs here and there, and Islamic terrorists can strike more or less anywhere, while an increasing number of unstable states are capable of acquiring weapons of mass destruction. Who can claim, moreover, that the disease has been completely eradicated? Be that as it may, this has been a historic transformation. Our societies were forged by the use of force and shaped by the balance of power, both within national borders and in the wider world. Each period of peace was merely an interlude between wars. Large countries prepared for victory in the next confrontation, while small countries tried to ensure that they would not be the next battleground. Every peace treaty led to the emergence or disappearance of governments, states or nations. Under the combined impact of democracy, the rule of law and European integration, of decolonisation and the demise of the Soviet Union, every country in this continent is now a pacified and fundamentally pacific society, living in certain peace with its immediate neighbours and with no enemy nations in other continents.
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