Europe, l’enfance d’un espace politique – Tribune dans L’Opinion
“Non, ce n’est pas le camp des abstentionnistes qui gagne à chaque élection européenne, c’est celui des frustrés. Et la frustration est croissante.
Pour la première fois, les préoccupations des Français – immigration, environnement, sécurité – concernent des domaines où une politique européenne commune est indispensable. C’est ce que ressent le bon sens populaire. Du coup, si tous les partis veulent changer l’Europe, le fait nouveau est que plus aucun ne veut la détruire. Fort bien. Mais l’Europe, comment ça
marche ? Qui décide ? Comment se fait-il que, une fois l’élection passée, les députés européens deviennent invisibles ? Si j’en suis mécontent, comment l’exprimer ?
Après neuf élections européennes, les Français n’ont toujours pas les réponses à ces questions. L’école enseigne peu la construction européenne – c’est un sujet de fin d’année dans les programmes. Quant aux grands médias télévisés nationaux, ils n’aident guère. TF1 a des correspondants permanents dans toutes les grandes capitales mondiales, mais pas à Bruxelles. Les excellents correspondants du service public sont traités par leurs rédactions comme les députés européens le sont par leurs partis : comme d’excellents spécialistes d’un domaine technique et ennuyeux – l’équivalent, pour la politique, de ce qu’est le curling par rapport au foot. Deux chaînes parlementaires couvrent à temps plein les travaux de l’Assemblée et du Sénat, mais aucun discours, aucun débat du Parlement de Strasbourg n’est retransmis sur une chaîne publique française. Quand des astronomes européens ont réalisé l’exploit scientifique historique de photographier le premier « trou noir », nos écrans ont relayé la conférence de presse donnée par la NASA, pour la plus grande gloire des USA. Enfin, mercredi dernier, le plus important débat de toute la campagne opposait les candidats des familles politiques européennes à la présidence de la Commission. Il n’a été diffusé chez nous que par la très confidentielle chaîne France Info TV. Pourquoi les téléspectateurs auraient-ils regardé ? Personne ne leur a expliqué que, depuis 2014, ce sont les citoyens qui, à travers le Parlement, élisent « Monsieur » ou « Madame Europe ». C’est le Parlement élu en 2014 qui a imposé Jean-Claude Juncker, candidat du parti vainqueur, dont leurs majestés du Conseil européen ne voulaient pas. Et c’est le programme de la majorité qui le soutenait que nous avons ensuite appliqué.
Au-delà de la dodécacaphonie des 34 listes, la leçon à retenir est simple. Le pouvoir européen est au bout du bulletin de vote. Ce sont ceux qui aiment le plus l’Europe qui la font avancer. Ceux qui ne l’aiment pas mettent hors-jeu les électeurs qui leur font confiance : en cinq ans, les députés du FN n’ont pas été capables de faire changer un seul vote ! Quant à nos futurs
députés européens, qu’ils mettent tout en haut de leurs priorités ce qui a été le grand échec de leurs prédécesseurs : faire enfin de cet espace économique, monétaire et culturel un véritable espace politique commun. Le soir du 26 mai, ne vous contentez pas de sourire sous la lumière des projecteurs : gardez-la pendant cinq ans !”
Source : https://www.lopinion.fr/edition/international/chronique-d-alain-lamassoure-europe-l-enfance-d-espace-politique-187335