Quand les citoyens s’en mêlent
L’Europe s’est construite depuis un demi-siècle de manière paradoxale. Toutes les initiatives importantes ont été prises par les gouvernements, et notamment par le couple franco-allemand, c’est-à-dire par ceux qui avaient le plus à perdre en terme de pouvoirs, ainsi transférés à Bruxelles. Tandis que les citoyens, qui y étaient spontanément favorables et qui avaient le plus à y gagner, n’ont été invités qu’exceptionnellement à se prononcer sur les grands choix.
Cette époque est désormais révolue. Nous assistons depuis deux ans à l’irruption irrésistible des citoyens et de leurs représentants dans le débat européen.
La première percée a été la réunion de la Convention européenne. C’est à cette assemblée, réunissant des élus de tous les Parlements nationaux d’Europe, que les dirigeants européens ont confié l’élaboration du premier traité de la grande Europe. Le résultat a dépassé les espérances les plus optimistes. Il est proposé de passer de l’Europe économique et monétaire à une Europe politique, de l’Union des gouvernements au mariage des peuples, et d’un système de décision obscur et peu efficace à un régime transparent et pleinement démocratique : bref, de remplacer un traité ordinaire par une Constitution, règle de vie commune des 450 millions de citoyens européens.
Deuxième avancée : la portée de ce texte est telle qu’une bonne dizaine de pays ont décidé de le soumettre directement à la décision des citoyens eux-mêmes, par référendum. Ce sera le cas notamment en France, en Espagne, au Portugal, au Royaume-Uni, et même dans les trois pays du Benelux où le référendum était inconnu jusqu’à présent. Ce sera la première pierre d’une véritable Europe des citoyens.
Et cela continue : les dirigeants nationaux se sont rendus compte qu’ils ne pouvaient plus continuer de décider seuls de la composition du « club ». Le projet de Constitution prévoit que toute candidature nouvelle éventuelle pour rejoindre l’Union sera soumise d’abord à l’avis des Parlements nationaux : si une difficulté, voire une opposition claire, apparaît ici ou là, un malentendu du type de celui qui est né bien maladroitement à propos de la Turquie sera immédiatement traité et trouvera sa solution démocratique. Dans le cas de la France, Jacques Chirac s’est engagé à modifier notre propre Constitution nationale pour rendre, dans ce cas, le recours au référendum obligatoire.
Enfin, le nouveau Parlement européen élu le 13 juin dernier a fait faire un pas de géant aux droits des citoyens qu’il représente. Sa nouvelle majorité de centre-droit, groupée autour du PPE – auquel participe notre UMP -, s’est invitée dans la désignation du Président de la Commission, un sujet qui était jusqu’alors la chasse gardée du Conseil européen : c’est le Parlement européen qui a imposé de fait José-Manuel Durao Barroso. Puis, allant plus loin, après avoir soumis les intéressés à un examen oral public, particulièrement minutieux et objectif, le Parlement a exigé et obtenu le remplacement de plusieurs candidats nationaux jugés insuffisants pour remplir la fonction de Commissaire qui leur était proposée. Ainsi les électeurs trop rares qui ont accompli leur devoir civique le 13 juin dernier ont eu raison contre les abstentionnistes : leur voix est maintenant entendue au plus haut niveau européen.
L’étape prochaine, et décisive, sera l’application de la Constitution elle-même. Avec elle, les lois européennes ne pourront plus être approuvées sans l’accord de la majorité des élus des citoyens au sein du Parlement européen. Mieux : le chef du pouvoir exécutif européen, le Président de la Commission, sera désormais élu par les citoyens à travers l’élection du Parlement européen, comme l’est le chef du gouvernement national chez tous nos voisins. Et l’Union européenne nous offrira même, en tant que citoyens, un droit inconnu en France : la possibilité d’obtenir, par pétition collective recueillant un million de signatures, qu’une proposition soit examinée et débattue publiquement par les institutions européennes.
Le choix est entre nos mains : voulons-nous mener à bien cette révolution démocratique, donnant ainsi à l’Europe la légitimité nécessaire pour devenir une vraie puissance politique, ou préférons-nous rester dans les arrangements diplomatiques, technocratiques et obscurs de l’espace des marchands et des initiés ?
Alain LAMASSOURE, le 3 novembre 2004.