«L’Europe et les deux hirondelles», chronique pour l’Opinion 02/06/2019
«L’Europe et les deux hirondelles».
« Cette mobilisation inusitée a vu une première dans les élections au Parlement de Strasbourg : l’apparition d’un “vote utile européen”. Certes, la tentation de se servir de ce scrutin pour juger le pouvoir national en place est demeurée forte. Mais elle a été souvent éclipsée par la volonté de choisir une Europe plus forte ou plus verte, plus juste ou moins bureaucratique »
Ne boudons pas notre plaisir. Ces élections européennes devaient être, comme toujours, et même plus encore, ennuyeuses, inutiles, boudées par les électeurs. Or, elles ont accouché de deux révolutions silencieuses. Deux hirondelles en mai ! Excusez du peu.
Première révolution : les deux grands partis politiques qui ont alterné au pouvoir depuis le début de la Ve République ont sombré pavillon bas. Dans l’insignifiance. En 2017, ils avaient pu mettre leur échec sur le compte d’un mauvais choix de candidats. En mai 2019, ils n’ont pas compris ce dont les électeurs se sont rendu compte : les grands défis du XXIe siècle doivent s’affronter au niveau européen. La barre est devenue beaucoup plus haute. Additionner le vieux catéchisme de droite et la xénophobie gauloise, ou la bien-pensance de gauche et le paléo-socialisme bio, c’était rendre des copies hors sujet. N’ayant rien appris de leurs défaites nationales d’hier, sauf à haïr tristement leur vainqueur, comment pouvaient-ils inspirer confiance pour l’avenir de l’Europe ? Car désormais, c’est au niveau européen que s’apprécie la crédibilité d’un parti national.
D’autant que les citoyens ont compris qu’en Europe aussi, le pouvoir est au bout du bulletin de vote. C’est la seconde révolution. Pour la première fois depuis quarante ans, plus de la moitié des citoyens ont rempli leur devoir électoral européen : un taux de participation qui reste faible selon les standards européens, mais qui se compare tout à fait avec celui des élections américaines. La participation a atteint 60 % en Allemagne et même 66 % au Danemark. Traditionnellement très faible chez les nouveaux membres, elle a doublé en Slovaquie, elle a atteint 43 % en Hongrie et, avec 50 %, elle a bouleversé le paysage politique roumain. Et quel joli symbole : la première génération du XXIe siècle, celle des enfants nés en 2001, a 18 ans cette année ; c’est la première fois qu’elle a pu voter, et c’était sur l’avenir de l’Europe !
Heure européenne. Cette mobilisation inusitée a vu une première dans les élections au Parlement de Strasbourg : l’apparition d’un « vote utile européen ». Certes, la tentation de se servir de ce scrutin pour juger le pouvoir national en place est demeurée forte. Mais elle a été souvent éclipsée par la volonté de choisir une Europe plus forte ou plus verte, plus juste ou moins bureaucratique, l’ergot dressé ou le caquet rabattu. Les nouveaux électeurs expliquent la vague verte en France, en Allemagne, en Finlande, comme aux Pays-Bas. Au Royaume-Uni, ils ont promu un nombre inattendu d’eurodéputés (éphémères ?) hostiles au Brexit. En Belgique, le nationalisme flamand et un nouveau parti d’extrême-gauche ont partagé leurs voix avec les écolos. En Espagne, au contraire, c’est le parti socialiste PSOE qui a su reconquérir les jeunes, précédemment attirés par Podemos et Ciudadanos. C’est cela, la vie démocratique à l’heure européenne.
On se souvient du dialogue d’Audiard : « Un barbu, c’est un barbu, trois barbus, c’est des barbouzes. » Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais deux hirondelles… peuvent faire des petits. Et sauver l’espèce.