«Silence, on meurt!», chronique pour l’Opinion 30/06/2019
«Silence, on meurt!». La chronique d’Alain Lamassoure
« Il faut maintenant une politique commune vis-à-vis des pays d’origine et de transit, des règles communes sur les conditions d’entrée, de circulation, de séjour, de travail. Des quotas externes, par pays d’origine et/ou par profession des demandeurs, et des quotas internes, par pays d’accueil »
Dernière anecdote médiatique en date, l’odyssée du Sea Watch ne doit pas nous cacher l’essentiel. Depuis vingt ans, on meurt, tous les jours, en Méditerranée. Il ne dépend que de nous de sauver des vies humaines, par dizaines de milliers. Cessons la double hypocrisie de la bonne conscience irresponsable des marchands d’illusion et du cynisme glacé de la raison d’Etat, les uns et les autres arborant la bannière du christianisme et/ou des valeurs européennes. En 2015, Angela Merkel a sauvé l’honneur de l’Europe, en rappelant que sauver des vies n’est pas une politique : c’est un devoir pour tous ceux qui croient en l’humanisme. Ecoutons nos cœurs.
Cela acquis, écoutons notre raison.
Oui, un certain niveau d’immigration est économiquement raisonnable en Europe, y compris en France. Elle est irremplaçable dans des emplois, temporaires ou permanents, dont ne veulent plus nos compatriotes. Elle est même indispensable du point de vue démographique, pour compenser l’effondrement de la natalité dans la quasi-totalité des pays européens. Car il est un autre silence qui ne rencontre que notre inattention : celui des bébés qui ne naissent plus.
Mais, aussi supportable soit-elle sur le plan économique, l’immigration ne l’est politiquement plus au-delà d’une certaine proportion. Le seuil varie selon les moments et selon les pays, mais il est implacable : championne historique de l’accueil des réfugiés, la Suède se présentait modestement comme une « superpuissance humanitaire » ; elle s’est enfermée à double tour une fois franchi ce seuil invisible.
Or, ne nous rassurons pas aux chiffres en baisse de l’immigration récente. Divisée en 54 pays, aux économies vulnérables, aux climats déréglés et aux démocraties flageolantes, l’Afrique va voir sa population doubler en vingt ans – oh, rien, un milliard de plus ! La pression migratoire est condamnée à rester forte, durable et permanente, avec des pics au hasard des tragédies locales.
S’il est un domaine où l’union de l’Europe sera indispensable, c’est bien la politique migratoire. Les citoyens le savent et s’y attendent. Les politiques le savent… et attendent. La création de l’Agence des garde-côtes et des garde-frontières européens n’est qu’un premier pas. Il faut maintenant une politique commune vis-à-vis des pays d’origine et de transit, des règles communes sur les conditions d’entrée, de circulation, de séjour, de travail. Des quotas externes, par pays d’origine et/ou par profession des demandeurs, et des quotas internes, par pays d’accueil.
Et pour notre continent en paix entouré de pays en crise, il devient nécessaire d’attaquer frontalement le problème du dévoiement massif du statut de réfugié politique. Le formidable arsenal administratif et judiciaire mis en place pour protéger les ennemis des tyrannies conduit tout candidat à l’immigration à demander l’asile politique : en pratique, il devient . Or l’effet dissuasif d’une politique migratoire dépend de la capacité de reconduire des clandestins à la frontière. Plus que du silence des eaux qui se referment sur les martyrs inconnus de notre honteuse indifférence