«Europe: le soleil se lève aussi à l’Est», chronique pour l’Opinion
« Le 8 mai, nous allons célébrer la fin de la dernière guerre, et le lendemain la fête de l’Europe. A l’ouest. A l’est, c’est un jour de deuil. Pour tous les pays “libérés” par l’Armée Rouge, l’armistice signé le 9 mai a signifié le remplacement du totalitarisme nazi par le totalitarisme soviétique. Et l’incompréhension commence »
Oui, il y a un malaise propre à nos partenaires de l’est européen, et nous en portons une part de responsabilité. Nous n’avons jamais fait l’effort de les comprendre.
Le 8 mai, nous allons célébrer la fin de la dernière guerre, et le lendemain la fête de l’Europe. A l’ouest. A l’est, c’est un jour de deuil. Pour tous les pays « libérés » par l’Armée Rouge, l’armistice a été signé le 9 mai, mais il a signifié le remplacement du totalitarisme nazi par le totalitarisme soviétique. Et l’incompréhension commence.
Prenons la Pologne. En 1939, l’armée française est restée frileusement derrière la ligne Maginot pendant que la Wehrmacht détruisait la Pologne. Cinq ans plus tard, le pays avait perdu 6 millions et demi d’habitants, dix fois les pertes françaises ! En 1981, quand un coup d’Etat militaire a mis fin à la première expérience de Solidarnosc, le ministre français des Affaires étrangères a déclaré : « Naturellement, nous ne ferons rien ». Personne ne s’en souvient à Paris, mais nul ne l’a oublié à Varsovie. Derrière Walesa et Jean-Paul II, ils se sont libérés tout seuls du communisme. Nous les avons fait attendre quinze ans avant de les admettre dans l’Union, et pourtant aujourd’hui encore une majorité de Français considèrent que cette adhésion était précipitée : ils étaient trop pauvres, ils n’avaient pas de tradition démocratique – et pour cause ! Bref, nous leur reprochons les conséquences des malheurs dans lesquels nous les avions abandonnés.
Drogués pendant des générations à toutes les formes théoriques d’utopies marxistes, les intellectuels de l’ouest ne parviennent pas à admettre l’enfer trop réel que furent les régimes communistes. Pour nous, 1968 évoque le joyeux mai de la libération sexuelle au nom de Trotski et de Mao ; à Prague les chars soviétiques écrasaient dans le sang la revendication d’un « socialisme à visage humain ». On sait maintenant qu’un quart des Allemands de l’Est étaient des agents de la Stasi : les fils étaient payés pour dénoncer les pères. J’ai vu de mes yeux l’horreur des orphelinats roumains laissés par le régime de Ceausescu : des enfants vendus par leurs parents, laissés nus dans leur fange, la déshumanisation des âmes ayant ôté au personnel le réflexe universel qui fait prendre dans ses bras un enfant qui pleure. Après un tel degré de destruction des fondements de la vie en société, il faut du temps, beaucoup de temps, pour réconcilier un peuple avec la politique, avec son passé, avec les minorités qui le composent, et finalement avec lui-même. Et lui faire mesurer les bienfaits d’une Europe désormais libre, solidaire et en paix : la Pologne dans l’Union a un revenu quatre fois supérieur à celui de l’Ukraine.
Soyons clairs dans le combat contre l’« illibéralisme », maladie infantile de la démocratie : la défense rigoureuse des valeurs si chèrement acquises est le meilleur rempart contre le retour de l’ignominie. Mais, pour cela, sachons écouter ces peuples qui abordent notre avenir commun avec un passé différent du nôtre. Le soleil de l’Europe ne se lève pas qu’en son occident.
Alain Lamassoure est député européen sortant (PPE) et ancien ministre des Affaires européennes