Alain Lamassoure, l’élu aquitain qui avait la passion de l’Europe – AQUI!

Alain Lamassoure Anglet

 

LE GRAND ENTRETIENAQUI!, 9 mai 2019.

@qui! Il y a peu, sur les réseaux sociaux, vous avez publié un post annonçant votre despedida, vos adieux. Vous ne repartez donc pas pour un sixième mandat?

Alain Lamassoure.- J’appartiens à une espèce assez particulière dans la politique française. Alors qu’à l’époque la loi ne m’y obligeait pas, j’ai délibérément choisi de renoncer à une carrière politique nationale qui n’avait pas mal commencé – j’avais été deux fois ministre – et d’abandonner le plus beau des mandats politiques, celui de maire, en 2000, pour me consacrer totalement au chantier européen. ll était important qu’au sein du Parlement européen, où se prenaient déjà quelques-unes des décisions les plus importantes pour la France, il y ait des Français, pour défendre nos intérêts nationaux, tout comme la vision française de l’Europe. J’étais maire d’Anglet donc quand, un jour, un responsable des services de la Ville m’a appelé à Strasbourg, car il y avait une pollution accidentelle dans le lac du Boucau à la Barre.. J’ai compris ce jour-là que je ne pouvais mener ces deux responsabilités de front. Et d’abord à vis-à-vis d’Anglet qui méritait un maire à temps plein. Pour moi, ce fut un crèvecoeur.

Aujourd’hui, après 5 mandats européens, dont 4 consécutifs, étant rattrapé par l’état civil, je considère qu’il faut laisser la jeune génération prendre ses responsabilités. Je continuerai à défendre la cause européenne et mes convictions politiques d’une autre manière.

@qui! C’est important malgré tout l’expérience pour un mandat européen…

A.L Nous sommes quatre, cinq, six personnes de partis politiques différents ayant une expérience européenne qui peut-être utile pour encadrer ou pour conseiller. Dans tout ce qui est politique internationale ou européenne, l’expérience est extrèmement importante. Les problèmes, vous les apprenez, les textes aussi, mais pas les personnes, les relations entre les personnes : à Strasbourg, il y 28 pays représentés, 24 langues parlées, nous sommes répartis dans huit groupes parlementaires différents, c’est une machine dont on met des années à maîtriser le fonctionnement. Pour mon premier mandat, j’avais été élu sur la liste de Giscard, et Giscard, dont on ne peut douter de l’intelligence, m’a avoué qu’il avait mis six mois avant d’être capable de savoir comment faire voter un amendement. De mon côté, j’ai quand même mis une bonne année à comprendre les arcanes du système. Je crains que, dans le futur Parlement européen, la proportion très élevée de novices retarde la mise en marche d’une vraie « équipe de France ».

 @qui! L’Europe est-elle encore un besoin ou est-elle en grand danger?

A.L On est frappé et inquiet, à juste titre, de la montée des partis extrémistes et nationalistes dans la plupart des pays européens. Mais il est tout aussi frappant de voir que ces partis ne sont plus anti-européens. Plus aucun parti politique en Europe ne réclame la dissolution de l’Union, ou la sortie de son pays de l’Union européenne.  Même Marine Le Pen a été amenée à renoncer à la disparition de l’Euro et de l’Union européenne ! Tout récemment, le Parti nationaliste suédois (les démocrates de Suède) qui est historiquement un adversaire de la construction européenne et qui s’était opposé à l’entrée de la Suède dans l’Union vient de renoncer officiellement à ce que la Suède la quitte. En Espagne, Vox insiste sur son engagement européen. C’est ce qu’Emmanuel Macron avait compris, il y a deux ans, face à ses dix adversaires de la présidentielle: non seulement il ne faut pas avoir peur de l’Europe, mais il faut se dire que nous avons besoin de l’Europe, elle est une chance pour nous.

Certains adversaires politiques rappellent que la France est affaiblie au sein de l’Union. Quel est votre sentiment?

A. L Personne ne le souligne dans le débat politique: l’Europe est un projet français appuyé, depuis le premier jour par l’Allemagne. À chaque étape, on trouve les dirigeants français du moment en pointe. Le Marché commun, la politique agricole commune, l’Europe monétaire, la mise en place de l’Euro, le Traité de Lisbonne, à  chaque fois ce sont des initiatives françaises. J’ai été le premier à révéler ce qu’aucun journaliste national n’a repris, alors que je l’ai dit dix fois. C’est qu’autour de la table du Conseil des ministres européens, dans chaque secteur, depuis le 1er janvier 1959, alors qu’il y a eu depuis des dizaines de milliers de votes, le ministre représentant la France n’a jamais perdu un seul vote ! Quand on dit « l’Europe ce sont eux ! », c’est faux, l’Europe, c’est nous, nous tous, les Français ! On ne peut pas citer une seule décision politique qui ait été prise à Bruxelles sans notre accord. J’ai eu la chance de travailler avec des Gaullistes ouverts comme Edouard Balladur et Alain Juppé. La différence entre Édouard Balladur ou  le Juppé des années 90, mes premiers ministres de l’époque, qui étaient des Gaullistes ouverts au monde, et moi, c’est qu’ils étaient des Européens de raison et moi de passion. Aujourd’hui je taquine Alain Juppé en lui disant qu’il est devenu encore plus Européen que moi ! Dupont Aignan qui se réclame du général de Gaulle et vomit l’Europe, n’a pas compris que l’Europe actuelle est une enfant de la France, y compris de de Gaulle. Une enfant que, malheureusement, certains dans notre pays ont oubliée, voire à un certain moment, reniée.

@qui! Le résultat négatif du référendum de 2005, sur le Traité européen dont on n’a pas tenu compte, n’est-il pas le déclencheur de ce désamour?

A. L Le résultat lui-même oui; pour une raison très simple: il est à l’origine du climat d’euroscepticisme qui a plombé la politique française de 2005 à 2017, jusqu’à l’élection du président Macron, . Pourquoi? Au soir de cette gifle cuisante, Jacques Chirac aurait dû démissionner. Comme de Gaulle l’avait fait en 1969. C’est l’esprit, la tradition de la Cinquième République. Or, avec 55% des voix contre lui, Chirac est resté, et tout le monde a trouvé ça normal. De Gaulle, lui, avait démissionné à la suite du rejet d’un texte sur la décentralisation. A l’époque, personne n’a interprété ce vote comme un refus de décentraliser : quelques années plus tard, Mitterrand et Mauroy ont mis en route la décentralisation sans que personne ne réclame un nouveau référendum : tout le monde avait compris qu’il s’était agi d’un plébiscite contre De Gaulle, et non contre la décentralisation. En 2005, il s’est agi d’abord d’un vote contre Chirac, bien plus que contre l’Europe. Mais Chirac est resté et il a refilé sa propre impopularité à l’Europe. Et pourtant, dès le lendemain de ce vote les sondages ont montré que deux Français sur trois soutenaient le projet européen. C’était la proportion à l’origine, et c’est la même aujourd’hui.

@qui! Le référendum sur le Brexit en Grande-Bretagne n’a donc pas entrainé, en France, un mouvement anti-européen. Qu’attendez-vous des Britanniques?
A.L Après le référendum sur le Brexit au bout de quarante ans de vie commune de l’Angleterre et du continent, on a craint que cela puisse être contagieux ailleurs. Et c’est le contraire qui s’est passé : l’incapacité de la vieille démocratie parlementaire anglaise à traduire concrètement la décision populaire trois ans après a fait prendre conscience du suicide collectif que représente, au XXIe siècle, la sortie d’un pays de l’Union européenne. En attendant, le chaos politique à Londres va aboutir à cette situation invraisemblable : trois ans après avoir décidé de quitter l’Union, le peuple britannique va réélire des eurodéputés, sans que nul ne sache combien de temps et pour quoi faire ils vont siéger de nouveau !

@qui! L’introduction de nouveaux pays n’en a t’elle pas fait une grande machine devenue un peu ingérable où chacun désormais pense à son propre intérêt avant l’intérêt communautaire?

A.L C’est un sentiment très répandu en France : l’élargissement se se  serait fait trop vite. Il y a un élément certain : dans Europe à 28 l’influence de la France est plus diluée, n’est plus la même que quand on était 6 ou 12. Mais dans une perspective historique il faut se réjouir du ralliement des pays de l’Europe orientale. Historiquement, la plupart de ces pays ont dû leur naissance à la diplomatie française, avant de subir successivement l’invasion nazie puis le totalitarisme soviétique. Un totalitarisme dont ils se sont libérés tout seuls ! Ils sont donc les bienvenus dans ce club de démocraties européennes libres. J’ajoute que, contrairement à l’idée qu’on s’en fait, il est plus facile de décider à 28 qu’à 12. Tant que nous étions peu nombreux, il y avait une forte tentation des gouvernements nationaux pour réclamer que toutes les décisions soient prises à l’unanimité : c’était une ligne rouge pour de Gaulle. À 27, cela est impossible donc on a réussi à faire admettre que les décisions soient prises à la majorité : c’est le seul moyen de dégager un intérêt commun européen au-dessus des égoïsmes nationaux.  Enfin, contrairement à l’image que véhiculent certains médias et hommes politiques, l’organisation de l’Europe est totalement démocratique, et elle a un chef, le pouvoir exécutif. C’est le président  de la Commission européenne, qui élu exactement comme on élit le maire d’Anglet. Non pas par des bulletins de vote à son nom, mais comme tête d’une liste qui annonce à l’avance que si elle gagne le maire sera, par exemple, Claude Olive. C’est un système parlementaire. C’est comme cela que sont élus les numéros Un des 27 autres pays européens. Les grandes familles européennes ont désigné leurs candidats respectifs. C’est le cas de la famille de droite à laquelle j’appartiens, le Parti populaire européen, qui a désigné le député bavarois, Manfred Weber ; c’est le cas des socialistes européens, qui ont désigné le vice-président de la Commission européenne néerlandais Franz Timmermans ; les Verts ont désigné la jeune Allemande Ska Keller, les eurosceptiques modérés font campagne derrière le tchèque Zahradil.  On attend encore que la famille centriste, qui, en Europe, porte le nom d’Alliance Libérale démocrate désigne son ou sa candidate. C’est important, car il est probable que le parti La République en marche rejoindra ce parti, auquel appartient déjà le Modem. A mes yeux, la Danoise Margrete Verstager, la meilleure des Commissaires européens actuels, serait le meilleur choix.

@qui! Lors de votre carrière de député européen, vous avez fait l’objet en 2014 d’un “transfert” des Pyrénées-atlantiques dont vous êtes originaire vers l’Ile de France afin de faire place nette à Michèle Alliot-Marie. Ne gardez-vous pas une certaine amertume de ce départ obligé ?

A.L Dans l’action publique, il n’y a pas de place pour l’amertume. En l’espèce, il s’agissait d’une décision de la Commission nationale d’investiture de l’UMP présidée à l’époque par Jean-François Copé. J’étais de nouveau candidat pour mener à nouveau la liste du Grand Sud Ouest mais les dirigeants de l’UMP avaient un autre choix et ils m’ont proposé la tête de liste en Ile de France. Il m’était difficile de refuser cette forme de consécration : cela faisait de moi le leader national de la campagne des Européennes pour l’UMP. J’ai pourtant regretté ma région natale, lorsque j’ai pu ainsi vérifier concrètement que la France est tellement centralisée que Paris et sa région sont un autre monde. Ce que les gilets jaunes ont exprimé plus récemment à leur façon.

@qui! Comment, pour vous, s’est traduit ce changement de monde ?

A.L En Aquitaine, je connaissais tous les acteurs politiques, économiques et sociaux, le monde universitaire, les dirigeants agricoles, bref tous les porteurs de projets. Je pouvais jouer mon rôle de représentant des acteurs régionaux à Bruxelles et de pédagogue de la politique européenne dans le sud-ouest, ce qui est le rôle des politiques. La Région parisienne concentre les trois quarts des sièges sociaux, des grandes entreprises et des laboratoires de France. L’agriculture francilienne, ce sont d’abord les grandes exploitations céréalières de la Beauce. Une proportion énorme des dirigeants et des partis politiques sont issus de Paris et de l’Ile de France. Tous ces acteurs ont leurs contacts directs avec Bruxelles, et dans cet ensemble de 12 millions d’habitants – la taille moyenne d’un pays de l’Union, le député européen est méconnu, ignoré et en réalité impuissant pour sa « circonscription ». Pendant cinq ans, je me suis plus considéré comme une sorte de fonctionnaire représentant la France en général et les intérêts français dans l’enceinte du parlement européen plutôt qu’un véritable élu régional, choisi par les citoyens et ayant des comptes à leur rendre. C’est pourquoi, je pense que c’est une faute majeure du président Macron, d’avoir abandonné complètement toute référence régionale pour l’élection des députés français, avec une liste nationale qui sera une liste bloquée sans la possibilité pour les électeurs de changer l’ordre des candidats, au risque d’en faire 79 députés européens hors sol .

 @qui! Quels sont les projets d’Alain Lamassoure, retraité après un long bail du Parlement européen ?

A.L La première activité à laquelle je vais me consacrer est l’enseignement de l’Histoire. En France et dans tous les pays européens. Ça s’est amélioré ces dernières années, mais nous avons eu toute une période pendant laquelle nous avons renoncé à enseigner à nos enfants l’histoire des grands événements et des grands personnages qui ont fait la France, l’Europe et le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Nous avons formé une génération d’amnésiques collectifs.  Et nous, les seniors, nous nous en rendons compte parce que dans nos discours, nos références historiques ne fonctionnent plus. Or, un peuple dans lequel les élus ne peuvent pas s’appuyer sur l’expérience du passé pour proposer des politiques d’avenir, ça devient compliqué ! Et ça fait le jeu des bateleurs de foire qui, tout d’un coup, racontent n’importe quoi sur le passé sans trop courir le risque d’être démentis. Aujourd’hui encore, dans les programmes d’Histoire, la partie de l’histoire politique de la construction de l’Europe est peu enseignée et, dans certains pays, pas du tout. Alors que la réconciliation entre nos peuples, qui doit tant au projet européen, est un miracle sans précédent historique. En deux générations, des peuples qui se sont comportés comme des ennemis héréditaires pendant mille ans se considèrent maintenant en paix perpétuelle. Et ça, on ne l’enseigne pas ou peu !
J’ai convaincu le président Macron et le premier Ministre de faire de l’enseignement de l’Histoire en général, la priorité de la présidence française de l’institution qui s’appelle le Conseil de l’Europe. C’est une vieille institution basée à Strasbourg. Elle date de 1949, donc antérieure au Marché commun, placée auprès la Cour européenne des Droits de l’homme.  La proposition que j’ai faite est de créer un observatoire de l’enseignement de l’histoire dans les pays membres du Conseil de l’Europe. Afin de rendre public le contenu des différents programmes d’enseignement au niveau du Bac : ce que chaque lycéen doit savoir du passé de son pays. Le seul fait de rendre cela public et de permettre des comparaisons sera un choc. On va découvrir que dans certains pays, comme les Pays-Bas ou l’Angleterre, l’Histoire n’est même pas obligatoire, mais c’est une option à laquelle les garçons préfèrent plutôt le foot et les filles le violon – ou parfois le contraire. Ailleurs, ce qu’on enseigne relève encore du nationalisme plus que du patriotisme. Dans mon esprit, il ne s’agit pas d’obliger tous les pays européens à adopter la même interprétation, le même manuel scolaire, mais de s’assurer que nos récits nationaux sont désormais compatibles, qu’ils renforcent la réconciliation au lieu de recommencer à attiser des haines, et que de tous ces récits nationaux différents émerge une conscience commune européenne.”

 

Source originale : http://www.aqui.fr/politiques/alain-lamassoure-version-definitive,18399.html