“A Strasbourg, il faut composer une majorité y compris avec ceux qui sont vos adversaires naturels”, Libération, 26 avril 2019

 

Par Etienne Baldit 
Alain Lamassoure, à Meaux, le 7 mai 2014.
Alain Lamassoure, à Meaux, le 7 mai 2014. Photo Laurent Troude

Ils ont connu le monde politique avant l’élection d’Emmanuel Macron et l’arrivée massive de «marcheurs» à l’Assemblée. Ils le racontent et le comparent au «nouveau monde». Aujourd’hui, l’ancien député et eurodéputé LR (chef de la délégation française au PPE), ex-ministre de Balladur (Affaires européennes) et Juppé (Budget), Alain Lamassoure

Vous allez quitter le Parlement européen après vingt-cinq ans de mandat cumulés. Ça ne va pas vous manquer ?

Il y a de la nostalgie, oui. Mais est-ce que ça va me manquer pour l’avenir ? Non. Je crois avoir apporté au Parlement européen tout ce que je pouvais et je n’y apprends plus grand-chose. Dans ces cas-là, il faut faire autre chose. J’ai exercé pratiquement tous les mandats politiques en France, sauf sénateur et président de la République, évidemment.

Comment avez-vous vécu l’arrivée du «nouveau monde» ?

C’est un changement de génération très clair et très sain, mais les règles fondamentales de la politique restent les mêmes. «L’ancien monde» a quand même bien fonctionné pendant longtemps.

Comment jugez-vous l’Assemblée nationale issue du renouvellement de 2017 ?

C’est une génération qui a énormément de talent, ils sont beaucoup plus représentatifs de la société française que leurs aînés. Ils manquent évidemment un peu d’expérience politique. Mais ils sont plus en phase avec l’époque : ils ont voyagé, savent que l’échelon européen est capital, parlent anglais – alors que j’étais un des seuls de ma génération et encore, je baragouinais.

Quelle est la plus grande différence entre les systèmes français et européen ?

A Strasbourg, il faut composer une majorité y compris avec ceux qui sont vos adversaires naturels. Le système politique national est totalement manichéen, donc trop simpliste. Valéry Giscard d’Estaing parlait de la «guerre civile froide» qu’est la politique française. Quand j’étais ministre et que je répondais aux questions d’actualité de la gauche, je le faisais volontiers vertement ; mais au Parlement européen, mon premier réflexe était d’aller voir le représentant socialiste pour travailler à un compromis car sans accord droite-gauche, on n’y obtient jamais rien. Pendant cinq ans, avec mon homologue PS Pervenche Berès, on a voté les mêmes textes.

C’est l’adversaire politique avec laquelle vous vous êtes le mieux entendu ?

On a organisé notre pot de départ du Parlement européen ensemble. Même à Strasbourg, ça a un peu surpris… Mais il y a d’autres personnalités. Pendant mon premier mandat d’eurodéputé, Nicole Péry (PS) était vice-présidente du Parlement et on avait les meilleures relations du monde. Comme elle venait du Pays basque comme moi, on s’est retrouvés, des années plus tard, adversaires aux législatives en France. On a fait campagne cordialement, elle a passé tout son temps à faire mon éloge… et je ne m’en suis jamais remis ! Elle m’a battu. Elle a prouvé que les attaques personnelles ne servent à rien : ça n’a pas empêché ses électeurs de voter pour elle, mais ça m’a rendu suspect aux yeux des miens, qui se demandaient si je n’étais pas de gauche… Quand on se revoit depuis, on se marre !

On fantasme souvent la buvette de l’Assemblée pour les rapprochements transpartisans et moments de complicité ou de relâchement qu’elle permet. Existe-t-il un lieu similaire au Parlement européen ?

Les discussions entre eurodéputés se font plutôt dans les bureaux, les salles de réunion. C’est plus austère que l’Assemblée, car le ton est plutôt donné par nos partenaires d’Europe du Nord – Allemands, Britanniques, Scandinaves – qui sont plutôt protestants. Ça les amuse souvent quand je leur dis : «Chez vous, rien d’important ne se passe au repas, alors que chez moi rien d’important ne se passe en dehors.» Quand j’ai quelque chose à négocier, j’invite à déjeuner et quand on a bien mangé et bien bu, en dégustant l’armagnac, alors là on signe l’accord.

Votre plus grand regret ?

Ne pas être commissaire européen restera comme le grand échec de ma vie politique. Pour l’être, il faut lécher les bottes du président de la République en place pour avoir son appui, et je m’y suis toujours refusé.

Au final, la politique, c’était mieux ou moins bien avant ?

Il y a deux choses qui me frappent : d’abord, l’épouvantable court-termisme et la servitude aux sondages. Ensuite, c’est beaucoup plus dur aujourd’hui, sur le plan personnel, de faire de la politique à cause de l’espionnage des réseaux sociaux. Ce n’est pas pour ça que j’ai arrêté, mais c’est une bonne raison d’être heureux de ne pas continuer. Donc je ne sais pas si je me lancerais aujourd’hui en politique. Cela dit, si j’avais su ce que la politique de «l’ancien monde» impliquait sur la vie personnelle, je ne l’aurais pas fait non plus. Ma femme, qui était une amie d’enfance depuis mes 10 ans et avec qui nous avons eu quatre enfants, m’a quitté à cause de la politique et ça a été le drame de ma vie.

Extrait de Chez Pol, notre newsletter politique quotidienne réservée aux abonnés.

Etienne Baldit

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