“Avec les Pays-Bas, les positions divergent depuis maintenant quinze ans” – L’Express (01/03/2019)

Par Bogdan Bodnar, publié le , mis à jour le

L'eurodéputé Alain Lamassoure.

Pour le député européen Alain Lamassoure, l’opposition entre la France et les Pays-Bas dépasse la question d’Air France-KLM.

“Inamicale” et “incompréhensible”. C’est ainsi que le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qualifiait ce mercredi l’opération, qui a permis aux Pays-Bas de porter à 14 % leur part au sein du capital du groupe aérien Air France-KLM. Avec cette entrée surprise, l’État Néerlandais atteint une part équivalente à celle de la France (14,3 %) mais a provoqué la stupéfaction de l’Élysée, si bien que le président Emmanuel Macron réclame à La Haye des clarifications.

La relation entre les deux pays n’est plus au beau fixe. Ces dernières années les divergences sont nombreuses, principalement sur les questions européennes. Dernier épisode en date, l’adoption d’un budget propre aux pays membres de la zone euro, porté Emmanuel Macron, et qui serait mis à contribution pour rétablir les déséquilibres monétaires. Les Pays-Bas se montraient sceptiques, Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais déclarait devant les eurodéputés cet été, refuser une “redistribution de la prospérité”. Alain Lamassoure, député européen depuis vingt ans et président de la délégation française du Parti populaire européen (centre droit / droite), majoritaire au Parlement, met en évidence un désaccord persistant entre deux visions de l’Europe.

Ce raid soudain de l’État Néerlandais au sein du capital de l’Air France-KLM, sans prévenir Paris, n’est-il pas symptomatique d’un problème plus profond entre les deux pays ?

Que les Pays-Bas aient manqué de courtoisie, c’est un fait. Néanmoins, les discordances sur un dossier industriel ne reflètent pas toujours les relations entre les deux pays. Pour l’Alliance, ce sont des difficultés très internes qui animaient le groupe et l’État néerlandais a subitement décidé d’intervenir. Les deux gouvernements auront l’occasion de se rencontrer pour débattre de l’avenir de l’Alliance mais, entre les deux pays, d’autres questions sont aussi à soulever.

Le budget de la zone euro, par exemple ?

C’est la dernière discordance, en effet. Avec les Pays-Bas, les positions divergent depuis maintenant quinze ans sur la position de l’Union Européenne. L’adoption d’un budget de la zone euro en décembre n’est que symbolique, puisqu’il n’y a pas vraiment de chiffre, mais il a mis en lumière les frustrations des Pays-Bas. C’est un pays d’essence calviniste, plus attaché à disposer librement de son argent. Certains pays n’arrivent pas à équilibrer leur budget et La Haye refuse de contribuer à de nouvelles aides. Si on cite souvent les pays du Sud ou de l’Est, cette année la France sera l’un des mauvais élèves. Nos prévisions de croissance sont assez basses. En 2019, le déficit public devrait dépasser les fameux 3 % du PIB, fixés par les règles européennes, alors que les Pays-Bas y parviennent depuis des années. Sur ce point-là, il faut leur donner raison, nous sommes mal placés pour demander des efforts.

Pourtant l’État néerlandais n’est-il pas souvent pointé du doigt pour sa politique d’optimisation fiscale, trop avantageuse pour les grands groupes ?

C’est le principal reproche. Les Pays-Bas sont à l’origine des inégalités en termes de taxations des entreprises entre les pays de l’U.E. La Belgique, l’Irlande ou le Luxembourg n’ont fait que les suivre. Il n’est pas faux de dire “qu’ils volaient la matière fiscale de leurs voisins”. Depuis le scandale Luxleaks, révélant les accords fiscaux très avantageux conclus entre l’administration luxembourgeoise et des groupes internationaux, Bruxelles a réussi à imposer une modification de sa législation. Depuis cet été, La Haye a entrepris une série de réformes assez satisfaisante pour sortir de cette image de paradis fiscal. Pour autant l’adoption d’une harmonisation fiscale à l’échelle européenne reste essentielle. L’assurance qu’aucun pays ne se livre à cette concurrence déloyale est portée par la France et l’Allemagne, et les Pays-Bas ont tout intérêt à la soutenir maintenant.

Autre point récent de discordance, l’instauration d’une force de défense européenne, que propose Emmanuel Macron. Les Pays-Bas disent “préférer l’OTAN”.

Pas pour longtemps, à mon avis. Les Pays-Bas veulent se reposer sur la défense américaine alors que les intérêts des États-Unis ne s’alignent plus sur ceux de l’Europe. Si Obama le cachait courtoisement, Trump le met à jour. Depuis que les États-Unis et la Russie se sont retirés des traités sur la portée intermédiaire des armes nucléaires nous faisons face à une potentielle menace de missile russe. De quoi dissuader les Pays-Bas.

En 2005, les deux pays avaient refusé la Constitution européenne par référendum. Ces derniers temps, le mouvement des gilets jaunes a gagné les Pays-Bas, est-ce que les deux populations se retrouvent dans l’euroscepticisme ?

Tous les “non” ne se ressemblent pas. D’abord, on ne peut par parler euroscepticisme, mais d’un manque “d’euro enthousiasme”. Les deux populations sont encore attachées à l’UE, mais les Français reprochent à Bruxelles d’être trop faible face aux géants internationaux que sont les États-Unis et la Chine, mais aussi les multinationales. Quant aux Néerlandais, ils trouvent au contraire que l’Europe se mêle trop de leur économie nationale.

Comment alors Mark Rutte et Emmanuel Macron, deux libéraux autoproclamés, n’arrivent-ils pas à s’entendre ?

C’est la grande question et elle devient primordiale à l’approche des élections européennes. La République en Marche et le VDD de Mark Rutte ont tous deux annoncé s’allier au sein du groupe parlementaire de l’ALDE, l’alliance des libéraux. Pour mener une campagne forte, il faudrait d’abord être d’accord sur le programme, et c’est loin d’être le cas. Décider du sort de l’alliance Air France-KLM de manière satisfaisante est une urgence pour Emmanuel Macron, en vue du prochain passage aux urnes, et le Président a déjà pris trop de retard.