L’Opinion, 11/09: «Mais au fait, quelle est la famille politique européenne d’Emmanuel Macron ?»

Via L’Opinion, Isabelle MArchais

Photo SIPA Presse

Le Parti populaire européen, tiraillé entre des forces contradictoires, encourt-il un risque de scission ?

Non. Le PPE est une famille de partis nationaux fédérés, depuis trente ans, autour de la démocratie chrétienne allemande et de son slogan, l’économie sociale de marché. Aucun parti membre ne prendra le risque de se couper de Berlin. Sauf si la CDU et la CSU venaient à divorcer. Mais, malgré les tensions récentes, leur alliance est un des piliers de la démocratie allemande.

 

Comment expliquer que le PPE se soit toujours refusé à exclure de ses rangs le Premier ministre Viktor Orban, chantre de l’illibéralisme ?

Tout d’abord par l’habileté d’Orban, et sa tactique du faisan : deux pas en avant pour franchir les lignes rouges, un pas de côté et un demi pas en arrière pour faire croire que l’on a reculé. Ensuite par la pusillanimité des dirigeants du PPE : on garde la brebis galeuse espérant la guérir, sans voir combien la gale est contagieuse.

 

Cette stratégie pourrait donc contribuer à renforcer les nationalistes ?

 

Bien sûr. Si on garde dans la famille un parti qui en viole allègrement les valeurs, au nom de quoi critiquer une position comparable chez d’autres, voire accepter de nouveaux membres de même acabit ? Le fruit avarié gâte les autres.

 

Le Parlement européen devra dire mercredi si l’UE doit agir pour prévenir le risque d’une violation grave de ses valeurs et de l’Etat de droit. Ce vote pourrait-il changer la donne sur ?

Le vote sur la Hongrie sera un indicateur important de l’état des forces, notamment au sein du PPE, entre ceux qui défendent les valeurs européennes et les nationalistes.

Ne va-t-on pas de toute façon vers une nouvelle droitisation du PPE contraire à ses valeurs fondatrices? 

C’est l’un des enjeux des européennes de 2019. La campagne électorale de Bavière montre que quand la droite court après l’extrême droite, elle perd au centre plus qu’elle ne gagne de l’autre côté. Il faudra que LR s’en souvienne au printemps prochain.

Pourquoi avoir fait vous-même le choix de quitter LR? 

Parce que le discours anti-migrants et l’euroscepticisme militant des principaux porte-parole de ce parti trahissent les valeurs que lesquelles il a été fondé: humanisme, dignité de la personne humaine, engagement fort pour mener à bien le projet de construction de l’Europe.

 

Le PPE ne risque-t-il pas d’être enfermé dans le piège que lui tend Emmanuel Macron, qui veut résumer les prochaines élections à un affrontement binaire?

Si Emmanuel Macron joue exclusivement sur l’opposition entre progressistes et nationalistes, c’est sur lui que le piège se refermera. En France même, deux citoyens sur trois sont favorables à l’Europe, un sur trois est vraiment eurosceptique. Si la liste « Macron » prétend représenter seule les pro-européens, elle fera apparaître une proportion inverse, les élections de mi-mandat faisant hélas prévaloir les enjeux de politique intérieure.

 

Au risque que la liste En marche ne remporte pas les élections ?

C’est au Président Macron de prendre ses responsabilités.

 

Le PPE devrait rester la première force politique après 2019. Les souverainistes peuvent-ils prendre le pouvoir à Strasbourg ?

Je crains moins une majorité anti-européenne, peu vraisemblable, qu’une fragmentation au centre et à gauche, qui rende nécessaire l’alliance de trois ou quatre groupes différents pour constituer une majorité. Jusqu’à présent, depuis 1979, année de la première élection du Parlement européen au suffrage universel, l’alliance du PPE et des socialistes suffisait. La crise historique du socialisme européen rebat les cartes.

 

Vous ne croyez pas en une résurgence des forces sociales-démocrates ?

Si, mais différemment. Le débat politique majeur portera toujours sur l’équilibre entre liberté et l’égalité. Avec l’aggravation des inégalités dans toutes nos sociétés, la gauche a de beaux jours devant elle. Mais elle devra pour cela mettre à jour son logiciel, enterrer définitivement Marx, et, cher Mélenchon, trouver d’autres exemples mobilisateurs que celui de la tragi- bouffonnerie du Venezuela.

 

Le processus des « Spitzenkandidaten, que Christophe Castaner juge « antidémocratique », ne va-t-il pas faire les frais des réticences d’Emmanuel Macron?

La France est tellement intégrée dans son régime présidentiel qu’elle a oublié la logique, différente mais simple, du régime parlementaire. Chaque famille politique européenne annoncera à l’avance son (ou sa) candidat(e) à la présidence de la Commission – Le PPE le fera dès le 8 novembre. Quand les électeurs auront parlé, les chefs d’Etat seront dans l’impossibilité politique de sortir de leur chapeau quelqu’un qui n’aurait pas participé à la campagne : les citoyens auront tranché. Si c’est le PPE qui est le mieux placé pour rassembler autour de lui une majorité parlementaire, son chef de file s’imposera évidemment à la tête de la Commission. En revanche, si c’est la famille politique à laquelle se sera rattachée Emmanuel Macron qui est la plus fédératrice, c’est sa tête de lise qui sera tout naturellement retenue. Mais au fait, quelle est sa famille politique européenne ? Il est surprenant que, seize mois après son élection, ce Président sincèrement si européen ne sache toujours pas se situer sur l’échiquier européen, ni dire quelles seraient concrètement les formations alliées, en Allemagne et ailleurs, avec qui ses soutiens politiques français travailleraient à Strasbourg.

Quels sont les scénarios envisageables?

Si c’est le PPE qui est le mieux placé pour rassembler autour de lui une majorité parlementaire, son chef de file s’imposera évidemment à la tête de la Commission. En revanche, si c’est la famille politique à laquelle se sera rattaché Emmanuel Macron qui est la plus fédératrice, c’est sa tête de liste qui sera tout naturellement retenue? Mais au fait, quelle est sa famille politique européenne? Il est surprenant que, seize mois après son élection, ce Président sincèrement si européen ne sache toujours pas se situer sur l’échiquier européen, ni dire quelles seraient concrètement les formations alliées, en Allemagne et ailleurs, avec qui ses soutiens politiques français travailleraient à Strasbourg.