Vestager: “Elle a le cran que les autres n’ont pas eu ; il faut lui dresser une statue !”, Ouest France

Margrethe Vestager. « Elle n'a de comptes à rendre à personne », juge Alain Lamassoure.

© Bruno Teixeira Pires

Margrethe Vestager, la bête noire des multinationales

Elle fait frémir Google, Apple, Amazon, Engie… Commissaire européenne à la Concurrence, la Danoise traque sans pitié les abuseurs. Celle qui a inspiré la série Borgen est pressentie pour un autre rôle : la présidence de la Commission européenne.

Elle est venue sans son tricot. « Je ne le sors que dans les réunions techniques, sourit avec malice Margrethe Vestager. Pour me concentrer, c’est plus efficace que de pianoter sur un téléphone. » Elle dit tenir ça d’un prof de maths qui s’asseyait en tailleur sur son bureau et tricotait à longueur de cours. « C’est très danois, non ? Nous sommes des gens calmes. »

Calmes et déterminés. Le groupe français Engie est le dernier à en avoir fait les frais. Le géant de l’énergie vient de se voir infliger 120 millions d’euros d’amende pour des avantages fiscaux indûment perçus au Luxembourg. C’est Margrethe Vestager et ses 900 inspecteurs de la Commission européenne à la Concurrence qui ont mené l’enquête.

Engie conteste. Le Luxembourg aussi. Pas de quoi faire plier cette fille de pasteurs luthériens. Économiste de formation, elle a élevé trois gamines tout en devenant la plus jeune ministre danoise, à 29 ans. Autant dire qu’elle en a vu d’autres.

« La plus puissante après Merkel »

Tim Cook, le patron d’Apple, s’est le premier cassé les dents sur ce bloc d’obstination. En 2016, sûr de son aura, il a cru l’amadouer en venant en personne plaider dans son bureau, à Bruxelles. Margrethe Vestager lui a probablement servi elle-même un café, comme elle le fait avec tous ses invités. Mais elle n’a pas cédé. Apple a été sommé de verser 13 milliards d’euros à l’Irlande, pour compenser ses cadeaux fiscaux. Du jamais vu.

Ce n’était qu’un début. Depuis, la libérale Vestager a épinglé Google, Facebook, Amazon, Gazprom… Tout juste Mario Monti avait-il osé titiller Microsoft, avant elle. « Elle a le cran que les autres n’ont pas eu ; il faut lui dresser une statue ! » s’emballe l’eurodéputé et ex-ministre de droite Alain Lamassoure. « Elle n’a peur de rien, ne lâche rien », admet aussi l’ancien journaliste et eurodéputé centriste Jean-Marie Cavada.

Taxée d’arrogance par ses détracteurs, Margrethe Vestager veille à faire profil bas : « Le contexte de crise m’a été favorable, les entreprises ont souffert, les citoyens veulent plus de justice. Cela me porte. » LuxLeaks, SwissLeaks, Panama Papers… Les affaires à répétition lui offrent un terrain de jeu inédit.

Mais son acharnement inquiète. Venue exposer ses méthodes au Sénat français, en décembre 2016, elle n’a attiré que… dix élus, pointait alors le site Contexte. Un désaveu cinglant. Beaucoup craignent que son intransigeance ne fasse fuir les multinationales. Elle assume : « Je me bats contre ceux qui veulent dévorer leurs concurrents au détriment des consommateurs. Je ne changerai pas. »

Son indépendance en agace plus d’un, observe Alain Lamassoure : « Sa fonction fait qu’elle n’a de comptes à rendre à personne : ni aux gouvernements ni au Parlement, ni à la Commission. » Son poste stratégique lui vaut, dans les médias, le titre de « 2e femme la plus puissante d’Europe, après Merkel ».

Mais la chaleureuse quinqua à la coupe garçonne n’est pas du genre impressionnable. « Elle ne se fera pas bouffer par les services », prédisait l’eurodéputée centriste Sylvie Goulard à son arrivée à Bruxelles, en 2014. « Sa sincérité est si réelle qu’elle désarme les plus cyniques », s’amuse l’écologiste belge Philippe Lamberts.

Ennemie jurée des fraudeurs, Margrethe Vestager s’est aussi attiré les foudres de Donald Trump. Au sommet du G7, début juin, il a même feint d’ignorer le nom de l’impudente en interpellant son boss, le président de la Commission Jean-Claude Juncker : « Votre Madame Fiscalité, elle déteste vraiment les États-Unis ! » Sous-entendu, il serait bon de la recadrer…

Mais il n’est pas né, celui qui la recadrera. À Copenhague, la sociale-libérale s’est imposée en enchaînant les portefeuilles ministériels. Éducation, Économie, Intérieur… « La femme forte du gouvernement, c’est elle », écrit alors le journal Dagbladet Information. Cela n’a pas échappé au réalisateur de la série télévisée Borgen, une femme de pouvoir. Il s’en est inspiré pour incarner son héroïne, Birgitte Nyborg. Une Première ministre danoise.

Ah, le poisson du marché d’Oléron…

Son prochain rôle semble plutôt se profiler à Bruxelles, où beaucoup l’imaginent déjà succéder au président Jean-Claude Juncker. Chez les marcheurs de LREM, il se murmure aussi qu’Emmanuel Macron la verrait bien prendre la tête d’un mouvement ni de droite, ni de gauche, aux Européennes de 2019. « Je le prends comme un compliment », répond-elle avec gourmandise dans un anglais parfait.

Il lui faudra encore peaufiner son français, langue incontournable pour présider la Commission. « Je suis à l’aise pour commander mon poisson au marché d’Oléron, mais j’ai plus de mal à y parler fiscalité », avoue Margrethe Vestager.

Depuis onze ans, elle saisit chaque petit creux dans son agenda pour filer « respirer » sur l’île. Elle y a acheté une maison avec son mari. Un prof de maths qui « ne sait pas tricoter ».