L’expérience m’a appris à me méfier de l’introspection collective autant que de l’introspection personnelle : se regarder le nombril, c’est toujours un repli sur soi-même. Chacun de nous est une somme d’appartenances, plus une individualité unique, par son code génétique comme par son expérience d’homme, par l’inné et par l’acquis.
Le plus grand bouleversement que la construction européenne ait apporté à l’identité nationale est aussi le plus méconnu : c’est le passage inouï, en deux générations, de l’état de guerre récurrente entre ennemis héréditaires à la paix perpétuelle entre voisins appartenant désormais à une même famille. La nation assurée de la paix ne peut plus avoir le même contenu, la même fascination, la même exigence que la nation perpétuellement menacée de la guerre. Ce n’est plus Marianne, pour qui on était prêt à donner sa vie, c’est une administration anonyme, dont on n’espère plus rien de grand, mais un peu de tout dans la vie quotidienne. Cette nation-là ne peut plus attendre de ses « enfants » le quasi-monopole d’appartenance, les libérant ainsi pour s’épanouir dans d’autres affinités : l’attachement à la région, bien sûr, mais aussi à sa tribu familiale ou sociale, à sa religion ou sa spiritualité, à son métier, à un club sportif, à la communauté des internautes, à l’Europe, voire à la solidarité planétaire …
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