A propos de l’identité nationale


L’expérience m’a appris à me méfier de l’introspection collective autant que de l’introspection personnelle : se regarder le nombril, c’est toujours un repli sur soi-même. Chacun de nous est une somme d’appartenances, plus une individualité unique, par son code génétique comme par son expérience d’homme, par l’inné et par l’acquis.


Le plus grand bouleversement que la construction européenne ait apporté à l’identité nationale est aussi le plus méconnu : c’est le passage inouï, en deux générations, de l’état de guerre récurrente entre ennemis héréditaires à la paix perpétuelle entre voisins appartenant désormais à une même famille. La nation assurée de la paix ne peut plus avoir le même contenu, la même fascination, la même exigence que la nation perpétuellement menacée de la guerre. Ce n’est plus Marianne, pour qui on était prêt à donner sa vie, c’est une administration anonyme, dont on n’espère plus rien de grand, mais un peu de tout dans la vie quotidienne. Cette nation-là ne peut plus attendre de ses « enfants » le quasi-monopole d’appartenance, les libérant ainsi pour s’épanouir dans d’autres affinités : l’attachement à la région, bien sûr, mais aussi à sa tribu familiale ou sociale, à sa religion ou sa spiritualité, à son métier, à un club sportif, à la communauté des internautes, à l’Europe, voire à la solidarité planétaire …


On comprend qu’un changement aussi rapide puisse donner le vertige. On court alors deux risques : ranimer l’esprit national par l’intolérance envers les autres identités, ou remplacer un nationalisme par un autre. Piètre progrès que serait un nationalisme européen se substituant au nationalisme français ! Au contraire, l’Europe, c’est la nation libre et épanouie, délivrée du nationalisme.


La clé de la délivrance, c’est de prendre le contre-pied de la formule du Sartre de Huis Clos. Non, l’enfer, ce n’est pas les autres, tout au contraire : le salut de chacun est dans les autres, dans notre action avec les autres et pour les autres, dans notre solidarité familiale, sociale, nationale, européenne, planétaire, dans ce que le christianisme originel appelait la charité. L’identité est dans le faire, bien plus que dans l’être. « Au commencement était l’action »


Au fond, notre meilleur guide reste Montesquieu.


« Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime. »


Alain LAMASSOURE, le 11 novembre 2009