« La taxation des Gafa à 3 % est un impôt western spaghetti » (La Croix)

Interview parue dans le journal La Croix du lundi 30 avril 2018.

Réunis à Sofia, samedi 28 avril, les ministres des finances européens se sont montrés divisés sur le projet de taxation des géants du numérique porté par la Commission européenne et la France.

Alors que la France fait de cette réforme un objectif prioritaire, l’eurodéputé Alain Lamassoure estime qu’il s’agit d’un projet peu ambitieux.

La Croix  : Vous êtes opposé au projet de la Commission européenne d’instaurer une taxe transitoire de 3 % sur les ventes des géants du numérique. Pourquoi ?

Alain Lamassoure : Je n’en vois pas l’intérêt. C’est un projet mal pensé, aux ambitions limitées. La Commission européenne estime le montant de la somme qu’elle pourra récupérer, pour l’ensemble des 27 pays de l’UE, à moins de 5 milliards d’euros. C’est très faible. En outre, il s’agit d’un impôt indirect, sur tout ou partie de l’activité des grandes entreprises du numérique. Mais ce n’est pas elles qui le payeront : en position de force sur leurs marchés respectifs, ces sociétés n’auront aucun mal à faire payer leurs clients.

Que proposez-vous d’autre ?

A. L. : Il existe un projet majeur d’harmonisation fiscale à l’échelle de l’Union européen, à l’étude depuis 18 mois. Cette directive, appelée Accis (pour « Assiette commune consolidée d’impôts sur les sociétés »), permet d’assurer une concurrence égale et justice fiscale entre pays et entreprises, tout secteur confondu. C’est ce texte – dont le principe a déjà été adopté par la Commission et le Parlement – qu’il faut pousser, et non le projet qui agite le gouvernement français.

Accis consiste à harmoniser entre pays l’assiette de l’impôt sur les sociétés. C’est une mesure très importante, car c’est l’assiette – plus encore que le taux d’IS – qui fausse le jeu entre État.

En plus, cette directive définit la notion d’établissement numérique stable – ce qui avait manqué au fisc français lorsqu’il avait cherché à récupérer un milliard d’euros d’arriéré d’impôt auprès de Google. Selon ce texte, toute société qui collecte ou exploite des données personnelles à des fins commerciales dans un État y a un établissement numérique stable.

Les Allemands étaient favorables à la taxation à 3 % avant, semble-t-il, de changer d’avis ce week-end. Comment expliquer le revirement ?

A. L. : Il n’y a pas de revirement, puisqu’ils n’ont en réalité jamais montré d’enthousiasme à ce projet. Jusqu’à ces derniers temps, l’Allemagne n’avait pas de gouvernement, donc elle n’avait pas de position officielle. Mais le ministre des Finances par intérim ne cachait, en privé, son scepticisme à l’égard de ce projet de loi.

Son prédécesseur, Wolfgang Schäuble, y était favorable…

A. L. : Il avait pris position avec ses homologues français, italien et espagnol pour un mode de taxation des géants du numérique, mais de manière très vague, selon de grands principes. Il n’était plus là quand le projet a pris des formes plus précises.

Combien rapportera la taxation des géants du numérique avec la version « Accis » ?

A. L. : Je ne le sais pas, puisque je ne connais pas les bénéfices que réalisent les géants du numérique. Pour la France, seule l’administration fiscale pourrait répondre à la question. Mais en tout cas, ce sera plus que pour le projet à 3 %, que je qualifie d’impôt « western spaghetti » : il ne rapportera qu’une poignée de dollars.

Promouvoir Accis, n’est-ce pas un moyen de repousser la solution à ce problème ; et, in fine, ne jamais le résoudre ?

A. L. : Ce que je demande n’est pas inatteignable ! Les Américains ont bien mené une grande réforme fiscale, pourquoi ne pourrions-nous pas en faire autant. C’est à nous, Européens, d’en décider.

Tous les grands pays sont pour Accis, ils savent que c’est la bonne solution. Mais la France, pour aller plus vite et montrer qu’elle peut avoir des résultats, a choisi de pousser cette autre solution. Il faut arrêter de perdre du temps avec un sujet mineur, et se concentrer sur un règlement sérieux et durable.

Que le président Emmanuel Macron, avec l’influence qu’il a en Europe, en fasse un axe majeur et un accord politique sera possible d’ici à la fin de l’année, peut-être pas à 27, mais à 24 ou 25. »”

 

Source : La Croix