« Gafa: veut-on taxer les multinationales ou leurs clients ? » (L’Opinion)

Tribune publiée dans le journal L’Opinion le 15 avril 2018.

“La cause est entendue. Au sein de la famille européenne, il n’est plus question de laisser certains membres voler la richesse fiscale de leurs voisins : ceux-ci ne l’acceptent plus. Il n’est plus question non plus d’attirer des multinationales américaines ou chinoises en les exonérant d’impôts : les propres contribuables des pays concernés se révolteront. Le scandale Luxleaks est passé par là.

La cause est entendue. Ce n’est pas parce que la technologie leur permet de s’affranchir des frontières que les multinationales du numérique ont un droit acquis à se localiser fiscalement n’importe où. Elles doivent payer des impôts partout où elles ont des activités, proportionnellement à celles-ci.

La cause est entendue. Au-delà des géants de la Silicon Valley, le même principe de l’imposition dans tous les lieux d’activité doit s’appliquer à tous les groupes dont la richesse dépend de la valorisation de l’immatériel : brevets, droits d’auteur, droits d’usage de la marque, redevances de franchise, etc. C’est le cœur de l’économie du XXIe siècle.

La cause est entendue pour les citoyens contribuables. Le moment est venu d’en convaincre les dirigeants qu’ils se donnent.

Poignée de dollars. Au sein de l’Union européenne, une proposition concrète est sur la table : un système commun d’imposition des entreprises pour toute l’Europe. La recommandation adoptée le 15 mars par le Parlement européen à une majorité écrasante traite l’ensemble du problème : harmonisation de la définition du bénéfice imposable ; critère de répartition géographique du bénéfice ; définition de l’activité numérique, de manière à localiser les entreprises qui se veulent virtuelles. La décision revient maintenant aux ministres des finances.

Malheureusement ceux-ci sont distraits par un contre-projet français présenté à la fois comme plus urgent et mieux ciblé : faire payer les Gafa, et tout de suite ! La seule manière d’y parvenir sera d’instituer une taxe sur tout ou partie du chiffre d’affaires de Google et compagnie. Avec les avantages d’un impôt indirect, mais aussi ses inconvénients : la charge fiscale n’est pas supportée par l’entreprise mais par ses clients, sauf si celle-ci, étant en perte, n’est pas en mesure de la répercuter en aval. En position de force sur leurs marchés respectifs, les Gafa n’auront aucun mal à faire payer leurs clients. Alors que nos jeunes start-up, riches de plus d’espoirs que de bénéfices, risquent de payer l’impôt sur leur propre substance. Pour limiter ce risque, le taux de l’impôt envisagé serait si bas qu’il rapporterait annuellement moins de 5 milliards d’euros dans toute l’Union.

Une poignée de dollars ? Laissons cette idée aux amateurs de westerns spaghetti ! Tel qu’il a été voté par le Parlement de Strasbourg, le projet d’impôt européen des sociétés taxerait tous les bénéfices des entreprises de tous les secteurs, y compris le numérique, pour des centaines de milliards d’euros. Depuis dix-huit mois, le dossier a été instruit par les administrations nationales et son déminage politique a été largement entrepris par le Parlement. Si Emmanuel Macron veut laisser son nom à une étape décisive de l’harmonisation fiscale européenne, c’est à ce projet-là qu’il doit apporter tout son poids politique et celui de nos grands partenaires, tous déjà convaincus.”

 

Source de l’article original : https://www.lopinion.fr/edition/economie/gafa-veut-on-taxer-multinationales-leurs-clients-alain-lamassoure-ppe-145586