Gafa : «La taxe intérimaire risque de retarder une solution pérenne»
Par Christophe Alix — 21 mars 2018 à 20:16 – Libération
Pour Alain Lamassoure, eurodéputé PPE, cette mesure n’aurait qu’une portée limitée et un effet «contre-productif».
Député européen (PPE, droite), Alain Lamassoure est corapporteur, au Parlement européen avec le Néerlandais Paul Tang (S&D, socialiste) du projet de directive Accis (assiette commune consolidée d’impôts sur les sociétés), qui vise à réformer en profondeur la fiscalité à l’échelle de l’UE. Il juge «contre-productif» de créer une taxe intérimaire sur le chiffre d’affaires des grandes entreprises du numérique.
Comment s’y retrouver avec ces deux projets de taxe qui visent à résoudre le même problème ?
La proposition d’imposer temporairement le chiffre d’affaires, reprise par la Commission sous la pression de la France, sème la confusion. Le projet Accis a l’immense avantage d’instaurer une véritable harmonisation et consolidation fiscale à l’échelle européenne. Il réglerait à la fois le problème des Gafa avec la création d’une «présence numérique imposable» permettant de taxer leurs bénéfices dans les pays où ils ne sont pas physiquement présents, mais également ceux de toutes les multinationales qui pratiquent elles aussi cette optimisation fiscale.
La proposition de taxe sur le chiffre d’affaires est mal ficelée, dites-vous…
Elle cumule plusieurs inconvénients. D’abord, certains revenus issus du numérique resteraient hors de son périmètre, comme ceux issus des abonnements ou des redevances liés à la propriété intellectuelle, comme les brevets ou les licences de marques. Au nom de quoi ? Ensuite, comme il s’agit d’un impôt indirect, c’est le client plutôt que l’entreprise qui risque d’en supporter le coût : les Gafa détiennent une part de marché tellement écrasante dans les activités visées, comme les revenus publicitaires, qu’ils ne risquent rien à augmenter leurs tarifs. Enfin, sur les 200 entreprises potentiellement concernées, un quart sont européennes. Pour ces dernières, ce serait double peine alors qu’à la différence des Gafa, elles font beaucoup moins de bénéfices et vont devoir payer pour des pratiques qui ne sont pas les leurs.
Mais ne va-t-elle pas démontrer la capacité de l’Europe à agir plus vite ?
Son rendement maximal est estimé à cinq milliards d’euros à l’échelle de l’UE, soit une paille rapporté à l’évitement fiscal des Gafa depuis de nombreuses années. Je l’appelle la taxe «western spaghetti», tout ça pour une poignée de dollars ! Mais le plus grave est qu’elle risque de retarder la mise en place d’une solution pérenne avec Accis qui, au vu de l’activisme actuel sur le sujet, pourrait aboutir un an plus tard.
Les partisans de la taxe temporaire disent qu’elle accélérera une solution de fond…
Mon expérience européenne m’amène malheureusement à craindre le contraire. Cela va demander une telle énergie pour imposer cette taxe trop étroite et convaincre ses adversaires, comme l’Irlande, que le projet Accis risque d’en faire les frais. Il y aura les élections européennes, une nouvelle Commission et d’autres priorités, vu que l’on pourra déjà brandir cette petite avancée à l’opinion publique. Je redoute alors un enlisement, comme cela s’est passé avec la taxe sur les transactions financières.