Interview publiée dans la “Revue de l’Union européenne”, numéro de janvier 2012.





1) Quelle différence faites- vous entre la fonction de député européen et celle de député national?




J’ai exercé successivement les deux. Les deux parlements


appartiennent à des systèmes politiques très différents. Trois traits évidents les distinguent : en dépit du fait que la Commission est


responsable devant


le Parlement européen, celui-ci examine les projets de textes pour leur contenu et non avec un préjugé lié à leur auteur, alors que dans un parlement national la loi d’airain majorité/opposition ordonne


tout ; la combinaison de l’effet de la représentation proportionnelle et de l’exigence d’une majorité absolue oblige les groupes politiques du Parlement européen à la recherche d’un consensus permanent entre les principales forces politiques ; enfin, l’usage de 23 langues prive d’intérêt


l’éloquence parlementaire, qui joue un rôle si important dans les débats nationaux.




Une quatrième différence est plus triste. Plus de vingt ans après la première élection du Parlement européen au suffrage universel, la légitimité politique de ses membres reste théorique dans beaucoup de pays, dont le nôtre. Les eurodéputés sont considérés plus comme des membres d’un organisme genre Conseil économique et social que comme des parlementaires. Il est vrai que le système électoral en vigueur chez nous en fait plus des fonctionnaires des partis politiques que des élus du peuple.





2) le traité de Lisbonne parle de “démocratie européenne”. Pensez vous que la démocratie puisse sortir du cadre national?



Bien entendu ! Elle marche bien au niveau local ! Mais nous n’avons toujours pas réussi à créer un espace public européen, un espace de débat politique


à l’échelle de l’Union. Il y a toujours 27 débats nationaux sur l’Europe et non pas un débat unique.





3) Comment rendez vous compte de votre mandat de député européen aux électeurs?





Comme tout député : lettre d’information, site internet, réunions locales.




4) En quelle langue communiquez vous avec vos collègues parlementaires hors de l’Assemblée?



En-dehors des réunions officielles, en anglais bien sûr.





5) Avez vous une visibilité sur les actes législatifs que vous aurez à discuter en séance dans les mois qui viennent? si oui l’agenda européen vous semble -t-il bien pensé? Quels défauts y voyez vous?





Nous avons une visibilité totale sur les textes publiés par la Commission. Le Parlement a peu de défauts. C’est l’institution européenne qui fonctionne le mieux. L’interdiction de toute forme d’obstruction (filibustering) le rend remarquablement efficace. La seule faiblesse qui lui est propre est l’habitude, conservée depuis l’époque où il n’avait guère de pouvoir législatif proprement dit, de multiplier les résolutions sur tous les sujets, même en-dehors du champ de compétence de l’Union. Cela fait perdre du temps. Et surtout, cela irrite fortement les parlements nationaux et les opinions publiques, car cela donne l’idée que « l’Europe » intervient sur deux types de sujets :ceux qui entrent dans la compétence prévue par les traités et …tous ceux que le Parlement européen a envie d’invoquer.





6) Le Parlement dispose de pouvoirs renforcés avec les traités de Maastricht puis Lisbonne. Quels sont les manques de cette Assemblée selon vous?





Essentiellement l’absence de tout pouvoir sur les recettes du budget européen.




7) Comment pensez vous possible de renforcer le taux de participation des citoyens aux élections européennes?



Il se renforcera de lui-même dès 2014 avec l’élection du Président de la Commission par les citoyens eux-mêmes à travers l’élection du Parlement européen.







8) participez vous et comment aux relations entre le Parlement européen et les parlements nationaux?



C’est une des dimensions nouvelles de la vie de l’Union qu’il faut absolument développer. En tant que président de la commission des Budgets, j’organise une ou deux fois par an une réunion avec des représentants de toutes les commissions correspondantes dans les parlements nationaux. J’ai été à l’origine de la conférence financière européenne qui, le 20 et 21 octobre dernier, a réuni une sorte de mini-convention (gouvernements, institutions européennes, parlements nationaux) sur l’avenir du budget européen. J’ai proposé que les Sommets de l’euro soient assortis systématiquement de Sommets parlementaires. Et, naturellement, je participe régulièrement aux échanges organisés par les commissions des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Sénat.





9) Croyez vous possible d’extrapoler la notion de citoyenneté européenne en allant jusqu’à évoquer un possible “peuple européen”?



Je n’en vois pas l’intérêt pratique. Dès qu’on lance des mots de ce genre, on passionne inutilement le débat, en suscitant des réactions épidermiques. Avez-vous remarqué que le mot « souveraineté » ne figure dans aucun traité européen ? Ce n’est pas un hasard. C’est un concept dont nous n’avons pas besoin pour construire l’Europe politique : laissons-le aux souverainistes – et, naturellement, aux universitaires. Il en va de même pour « peuple » ou « nation » ou « fédéralisme ». Je vous laisse qualifier notre action comme vous l’entendez. L’important est que l’Union ait des dirigeants clairement identifiés et élus par les citoyens d’Europe.





10) A terme, pensez vous que le parlement européen puisse incarner une vraie démocratie supranationale?



Oui, évidemment. Dès 2019, lorsque le Président de la Commission élu par les citoyens européens en 2014 se représentera à leurs suffrages.





11) Quels sont les dossiers dont vous avez la charge qui vous paraissent particulièrement importants et pertinents pour l’UE et pour les Européens?



J’ai été rapporteur du projet de règlement sur l’initiative citoyenne européenne, qui est un pouvoir très nouveau et original donné aux citoyens.



Pour le reste, j’ai la responsabilité du budget, qui est évidemment au cœur des politiques européennes. Je me bats depuis cinq ans pour obtenir que, conformément à


la lettre et à l’esprit des traités, les dépenses européennes soient de nouveau financées par des ressources propres. J’espère que, bientôt, les citoyens seront aussi des contribuables européens. La première réaction des intéressés ne sera pas l’enthousiasme, mais c’est le brevet de démocratie qui nous manque !