Questions des élèves du lycée E. Mounier de Grenoble sur la Constitution européenne (décembre 2004)
• Quel idéal européen a présidé à la conception de la constitution ?
AL – Il est contenu dans les articles 2 et 3 : l’objectif est d’inventer, entre des pays voisins qui se sont fait la guerre pendant 2000ans, un mode de relations qui rende la guerre impossible, et qui nous permette d’être plus forts ensemble, pour défendre nos valeurs communes, tout en garantissant que chacun conserve son identité, sa langue, sa culture, et même sa souveraineté.
• La constitution apporte-t-elle des changements concrets ou constitue-elle plutôt une redite simplifiée des traités précédents ?
AL – Elle reprend beaucoup des traités précédents, pour tenir compte des acquis de ce qu’a été la construction européenne depuis cinquante ans. Mais elle innove sur plusieurs points essentiels: l’union économique et monétaire devient une union politique, fondée sur des valeurs (cf. question précédente); elle acquiert des compétences nouvelles, notamment pour organiser aussi un “espace de liberté, sécurité et justice”; le Parlement européen acquier le plein droit de voter les lois, et l’élection du Président de la Commission par le Parlement européen en fera un vrai “Monsieur Europe” (ou “Madame Europe”).
• Comment situer vous le rapport entre le constitution européenne et les constitutions nationales ?
AL – Les constitutions nationales doivent être conformes à l’européenne. C’est d’ailleurs pour cela que nous allons devoir modifier la nôtre. Si un Etat membre pouvait s’abstenir d’appliquer la constitution européenne au nom de la sienne, cela voudrait dire en fait qu’il quitte l’Union.
• La constitution a-t-elle été en partie élaborée pour renforcer l’Europe face aux États-Unis et à la mondialisation libérale ?
AL – Oui, depuis l’origine la volonté est de parvenir à parler d’une seule voix et d’agir d’un même mouvement sur la scène internationale. Pas uniquement vis-à-vis des Etats-Unis. Méfiez-vous d’une formule comme “mondialisation libérale” : c’est un vocabulaire idéologique qui ne décrit pas objectivement le phénomène que nous vivons actuellement. Des phénomènes planétaires dont nous subissons aujourd’hui les conséquences comme le terrorisme islamiste, l’émergence de la Chine ou l’immigration clandestine n’ont rien à voir avec le libéralisme…
• Selon vous, la dimension sociale que semble intégrer la constitution va-t-elle permettre des progrès concrets dans ce domaine ?
AL – Oui, s’il y a une volonté politique d’engager des politiques sociales européennes. Jusqu’à présent, on n’a pas fait plus parce que … personne ne le voulait. Chacun a préféré préserver son système national de sécurité sociale, sa politique familiale, son système de retraites, son droit du travail : par exemple, nous sommes le seul des 25 pays à avoir réduit sa durée hebdomadaire du travail à 35 heures – si cela devient une compétence européenne, nous retournerons aux 40 heures. Aujourd’hui, les Français n’y sont pas prêts. Ce n’est pas une question de traité ou de Constitution, mais de choix politique.
• Pensez-vous que la constitution va renforcer le sentiment d’appartenance à l’Union Européenne des européens ?
AL – Je crois que oui, notamment avec l’apparition de responsables politiques élus par les Européens (directement ou indirectement), incarnant l’Europe: le Président de la Commission, qui sera une sorte de Premier Ministre européen, le Ministre des affaires étrangères, le Président du Conseil européen. Par exemple, si, au moment de la crise irakienne, il y avait eu un “Monsieur Europe” capable de s’exprimer au nom des 450 millions de citoyens européens, les Américains auraient été obligés d’en tenir compte, et tous les Européens auraient été fiers d’avoir ainsi pesé en faveur d’une solution plus pacifique.