Interview sur le site Internet “Publius” sur la Constitution européenne (décembre 2004)


– Vous avez été ministre des affaires européennes, vous êtes député européen, vous avez participé à la convention qui a préparé le projet de constitution européenne. Vous faites parti des hommes politiques français


qui connaissent probablement le mieux les institutions européennes. Quel regard avez-vous sur la connaissance qu’a la classe politique française de l’Europe et de son fonctionnement ?


AL – Cette connaissance est limitée, mais on peut dire la même chose chez nos partenaires. L’Europe reste un sujet d’initiés, parmi les politiques, l’administration, et la société civile: syndicats, patronats, journalistes spécialisés, lobbies. Un des enjeux majeurs de la Constitution, c’est de passer de l’Europe des initiés à l’Europe populaire.


– Vous êtes également à l’UMP. Que pensez-vous du débat sur la constitution européenne au sein de la droite française ? Comment comptez-vous convaincre les réticents au sein de votre parti ? Quelle place y a-t-il pour un “non”à la constitution européenne au sein de l’UMP ?


AL – Au sein de l’UMP, le débat a eu lieu, de manière ouverte et démocratique, lors de l’adoption du programme pour les élections européennes. 79% des membres du Conseil national, le parlement du parti, ont voté ce programme, d’inspiration très communautaire, et quasi fédéraliste. Dimanche dernier, lors de l’élection du nouveau Président du parti, Nicolas Dupont-Aignan, candidat eurosceptique, a fait 9% des voix. Au sein de l’UMP, le débat est donc tranché. Naturellement, les opposants conserveront leur liberté de parole.


– Que pensez-vous de la qualité du débat sur l’Europe et sur la constitution en France. Vous avez planché sur ce texte : vous retrouvez-vous dans les arguments échangés, d’un côté comme de l’autre ?


AL – Le débat ne fait que commencer. Celui qui vient d’avoir lieu au sein du PS donne un avant-goût de ce qui va se produire désormais à une plus vaste échelle. Les opposants sont tentés de jouer sur l’ignorance de l’opinion, en n’hésitant pas à colporter des mensonges purs et simples et à rendre l’Europe responsable de tout ce qui va mal, à commencer par leurs propres échecs. En même temps, le résultat du vote interne au PS montre que, si le débat est suffisamment long et approfondi, et s’il n’est pas trop pollué par des événements extérieurs, le bon sens populaire et l’attachement profond des Français à l’aventure européenne doivent prévaloir.


– Pour vous, a-t-on affaire à une constitution ou à un traité ? que pensez-vous de l’expression “traité constitutionnel” ?


AL – C’est la formule la plus exacte. Juridiquement, nous avons affaire à un traité international, qui doit d’ailleurs être ratifié en tant que tel. Politiquement, c’est plutôt une Constitution, et c’est sur l’aspect politique qu’il faut naturellement insister à l’égard de l’opinion.


– Comment percevez-vous l’évolution du rôle du parlement européen avec la nouvelle Constitution ? Au delà de l’accroissement textuel des compétences du parlement, croyez-vous que le parlement européen va prendre réellement d’avantage d’importance ?


AL – Oui, c’est évident, c’est heureux, et d’ailleurs cela est en train de se faire avant même que la Constitution s’applique. Les commentateurs ne s’en sont guère rendu compte – nos brillants observateurs politiques ne connaissent pas mieux la vie européenne que les hommes politiques eux-mêmes -, mais en imposant un candidat issu de ses rangs à la tête de la Commission européenne, la famille politique qui a gagné les dernières élections européennes, le PPE, a procédé à une petite révolution tranquille: désormais, le chef du pouvoir exécutif de l’Union sera élu par le Parlement, donc, par les citoyens à travers l’élection parlementaire, comme un chef de gouvernement classique. La Constitution y ajoute les pleins pouvoirs législatif et budgétaire, et c’est très bien.


Pour accompagner cette évolutions, il faudra adapter la composition, le régime électoral et les méthodes de travail du Parlement, qui continue d’être régie par des règles conçues à une époque où il était plus un forum de débat qu’une assemblée législative. J’ai beaucoup de choses à proposer sur ce point. Mais ce sera un sujet à traiter à la première révision de la Constitution, en tenant compte de l’expérience. Ratifions d’abord le projet de Constitution !


Adresse du site Publius : http://publiusleuropeen.typepad.com/publius