Cette fois, la page est bien tournée


Tony Blair peut quitter la direction de son pays avec au moins un sujet de satisfaction : le «blairisme» a triomphé de ce côté de la Manche. Et c’est tant mieux.


Ce triomphe ne porte pas sur le contenu de la future politique française (personne n’approuve ici ses choix sur l’Irak), mais sur une nouvelle approche de la politique. Un style plus jeune, plus moderne, une science calculée de l’utilisation des médias, non pas simplement pour sourire dans les studios, mais pour créer l’événement en allant sur place rencontrer les acteurs des drames ou des réussites de notre temps. L’abandon des « marqueurs » idéologiques de l’après-guerre, qui ont tant retardé l’adaptation de la vieille Europe au monde nouveau : reçu solennellement à l’Assemblée Nationale, Blair avait stupéfait les députés de droite et indigné la gauche en déclarant tranquillement « il n’y a pas une politique économique de droite et une politique de gauche, il y a une politique qui marche et une qui échoue. En tant que socialiste, je choisis la politique qui marche ; et je peux distribuer ensuite, en socialiste, les fruits de la réussite. » Citons aussi, chez lui, l’attachement à des valeurs morales, plus qu’à des idées doctrinales.


Sur tous ces points, les deux candidats du deuxième tour de la présidentielle se sont montrés bons disciples du leader britannique. Si Nicolas Sarkozy l’a finalement emporté haut la main, c’est parce qu’il a mieux étudié et mieux compris la leçon principale du succès électoral du « new Labour » : partir d’abord à la conquête de son parti politique, moderniser et rajeunir celui-ci de l’intérieur, et préparer à l’avance les politiques à engager dans tous les domaines. La victoire du Président de l’UMP est un bon exemple de … revalorisation de la valeur travail ! Jamais, depuis le général de Gaulle, un candidat au pouvoir suprême ne s’était autant préparé, non seulement à gagner l’élection, mais à exercer la fonction. En se contentant de surfer sur des sujets d’actualité, en improvisant des éléments de programme disparates et contradictoires, en tenant ostensiblement son propre parti en suspicion d’archaïsme, Ségolène Royal a joué au poker face à un grand maître des échecs.


Autre novation : la décision ne s’est pas faite au centre. Du centre est venue plutôt l’indécision. François Bayrou a étonné d’abord en ambitionnant de faire travailler ensemble la droite et la gauche, puis il a percé dans les sondages en maudissant également l’une et l’autre. Ebloui par les 18% de votants qui s’étaient portés sur son nom, il en a déduit que les Français plébiscitaient le rejet de l’antagonisme droite/gauche : cette curieuse arithmétique omettait simplement le fait que 82% des électeurs s’y sentaient au contraire parfaitement à l’aise. Au second tour, il a d’abord laissé liberté de vote à ses électeurs, puis flirté avec la gauche, puis revendiqué son indépendance, puis chuchoté « tout sauf Sarkozy ». Lassés d’essayer de suivre le nord perpétuellement changeant d’une boussole démagnétisée, ses propres élus ont préféré alors suivre le candidat qui avait su garder inflexiblement son cap. L’élection ne s’est pas faite au centre, mais au peuple. Comme l’avait voulu Nicolas Sarkozy. Et Tony Blair s’est précipité à Paris pour être le premier Européen à féliciter son émule.


Les Français redevenus citoyens, et reprenant le pouvoir des urnes. La politique parlant le langage du nouveau siècle. Le meilleur homme d’Etat de sa génération porté au pouvoir, au-delà de sa famille politique, par les ouvriers, les employés, les petits chefs d’entreprise et la classe moyenne qui désespéraient depuis longtemps de se faire entendre. Les valeurs communes éternelles – le travail, le mérite, l’autorité, le respect – orientant les choix politiques à la place des vieilles idéologies mortes. Tout reste à faire. Mais, avec ou sans réchauffement climatique, ce mois de mai 2007 a toutes les promesses d’un vrai printemps. Enfin !


Alain Lamassoure, le 12 mai 2007.