Mai 2007 : Marianne face à son destin


Comme Jacques Faizant nous manque ! S’il n’avait pas snobé sa première campagne présidentielle depuis le début de la Ve République, il aurait sans doute croqué son adorable mutine de Marianne, vêtue de son seul bikini, et contemplant pensivement les vagues d’Anglet en faisant languir un MNS au profil de Sarkozy, la harcelant gentiment : «Tu veux ou tu veux pas ?»


En démocratie, toute élection est le moment de vérité d’un peuple. Contrairement à ce que croient trop de candidats eux-mêmes, la plupart des sondeurs, et beaucoup de journalistes, l’élection n’est pas du tout un concours de beauté : c’est le choix du pilote de l’avion. Et ce qui nous attend n’est pas tout à fait un simple baptême de l’air par un ciel sans nuage.


Entre nous, entre Français, nous pouvons bien nous le dire. Nous avons traîné. Nous avons différé. Nous avons tergiversé. Nous nous sommes jetés sur la première raison que nous avions pour ne pas réagir. Le monde change ? « Encore une minute, Monsieur le bourreau ! » La montée du chômage ? Il y a quelqu’un qui dit : « la solution, c’est de gagner plus en travaillant moins ! », essayons toujours !… Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne réussissent mieux que nous ? Pouah, c’est l’horrible modèle ultra-libéral anglo-saxon, ça n’est pas pour nous ! Les performances chinoises ? C’est trop facile, ils payent des salaires de misère !…


Depuis 1981, combien de fois avons-nous choisi le candidat qui était à la fois le plus éloquent pour décrire le mal qui nous frappait, et le plus rassurant sur le traitement indolore qui nous convenait ? Seulement voilà : à force d’emplâtres, la plaie s’est gravement infectée. Au début, la crise n’était qu’économique. Puis, c’est devenu une crise de société. Nous en sommes aujourd’hui à une crise de la nation elle-même. Nous ne pouvons plus faire comme si nous ne savions pas.


Comme si nous ne voyions pas que, pendant ce temps, les autres, pas seulement les Asiatiques, pas seulement les Américains, mais nos propres voisins européens ont agi, ont persévéré, et ont fini par réussir là où nous avons fait semblant.


A la fin des années 70, paralysée par deux décennies de travaillisme bureaucratique, l’Angleterre a choisi de se remettre au travail. Mme Thatcher a initié puis symbolisé ce renouveau, mais le plus remarquable est que, depuis dix ans, Tony Blair a poursuivi la même politique économique, sans complexe et avec un résultat incontestable : le Royaume-Uni a dépassé la France.


Au début des années 80, les Pays-Bas étaient plombés par la crise pétrolière. Employeurs et salariés, partis de gauche et partis de droite, ont conclu un accord historique à Wassenaar en 1982 : priorité à la compétitivité et à l’emploi, même au prix d’un gel provisoire des salaires. Le revenu moyen des Hollandais est aujourd’hui supérieur d’un quart au nôtre, et son excédent commercial approche celui de la Chine !


Quant l’URSS s’est effondrée, la Finlande a perdu son principal débouché commercial. En deux ans, son revenu national a baissé de 15%. C’est un pays ruiné et exsangue qui a rejoint l’Union européenne en 1995. Cinq ans plus tard, en 2000, la Finlande dépassait la France en termes de revenu par habitant. Elle avait réorienté entièrement ses échanges vers l’ouest, abandonné les vieilles productions au profit des nouvelles technologies si bien illustrées par la réussite mondiale de Nokia, et fait de son système éducatif le plus performant du monde au niveau primaire et secondaire.


Il y a vingt ans, nous regardions l’Espagne avec une certaine commisération. Son taux de chômage était le double du nôtre. Au cours des dix dernières années, l’Espagne a créé 6,5 millions d’emplois, soit plus que la France, l’Allemagne et l’Italie additionnées ! Ses entreprises rachètent les aéroports anglais, les producteurs de gaz écossais, les banques américaines et même chinoises. Depuis deux ans, son taux de chômage est inférieur au nôtre, et il continue de baisser.


Quand la malheureuse Irlande est entrée dans la C.E.E. en 1973, c’était le pays le plus pauvre de toute l’Europe. Ses jeunes fuyaient la misère, en allant à Londres ou à New-York. Et puis l’orgueil irlandais s’est réveillé. Depuis quinze ans, l’île verte connaît un taux de croissance à la chinoise, et est devenu le premier investisseur en technologies nouvelles. En 1998, la richesse par habitant a dépassé celle de la France, en 2002 celle du Danemark. Voilà l’Irlande devenue le pays le plus riche de l’Union, retenant ses jeunes avides de travailler et attirant les élites techniques d’Europe et des Etats-Unis.


Et l’Allemagne ? Nous nous sommes rassurés pendant longtemps en comparant notre taux de croissance, pourtant asthmatique, au rythme d’escargot de notre grand voisin. L’effort auquel elle a consenti pour reconstruire l’ancienne RDA dépasse l’imagination : depuis dix-huit ans, elle y a consacré chaque année 4% de son PIB. Cela acquis, elle a pu se concentrer sur la revitalisation de sa vieille industrie. Et pendant que nous gémissons de l’euro fort, qui pénaliserait nos exportations, l’Allemagne est redevenue le premier exportateur mondial, loin devant les Etats-Unis et la Chine.


Pendant ce temps, fiers de « l’exception française », nous mettons un point d’honneur à ne pas étudier ce qui réussit ailleurs, sans avoir le courage d’inventer une nouvelle voie française. Le résultat est accablant. En 2006, au sein de l’Union européen, la France a été 26e sur 27 pour le taux de croissance, 26e sur 27 pour le niveau du chômage, 26e sur 27 pour le taux des prélèvements obligatoires, 27e sur 27 pour la durée du travail, 24e sur 27 pour le taux d’emploi des seniors, et guère mieux placés pour le niveau de chômage des jeunes !


Ce que nous disent ces chiffres, ce que nous rappellent les exemples des autres, comme nos propres réussites historiques antérieures, ce que nous crient les banlieues désespérées, ce que savent les Français silencieux qui se battent au quotidien, c’est que tout est affaire de courage et de volonté. Arrêtons de nous mentir à nous-mêmes ! On ne sort pas du fond du puits par une politique doucereuse, des discours mielleux, une cuillère de sirop pour chaque catégorie, l’appel à la réconciliation béate de la chèvre et du chou.


Interrogé récemment par un journal anglais sur la campagne électorale, le maire non-inscrit d’une petite ville française dont le vote est souvent conforme à celui du pays, a répondu : « Plusieurs candidats ont bien préparé leur campagne, mais Nicolas Sarkozy est le seul à s’être préparé à gouverner la France d’aujourd’hui.»


Alors, Marianne, tu veux ou tu veux pas ?


Alain Lamassoure, le 10 février 2007.