Prix Nobel ou Oscar d’Hollywood ?
L’attribution du Prix Nobel de la paix à Al Gore et à l’équipe scientifique consultante de l’ONU sur le réchauffement climatique (le GIEC) a suscité un concert de louanges quasi-unanimes. Elle n’a fait qu’une victime : la cause de la paix.
Certes, tout est dans tout, à long terme la maîtrise du climat devrait favoriser le développement harmonieux de l’humanité. Mais, à ce compte-là, les lauréats des prix de médecine, de physique, voire de l’économie en méritaient autant. D’autant que les moyens à mettre en œuvre pour contraindre les pays récalcitrants à réduire les émissions de gaz à effet de serre, la déforestation, le gaspillage de l’eau et des matières premières, favoriseront-ils les relations pacifiques entre les communautés humaines ? Rien n’est moins sûr.
La science est une chose, la paix en est une autre. C’est ce que montre la vie de Nobel lui-même : les découvertes scientifiques sont moralement neutres – elles peuvent servir indifféremment la cause de la paix ou celle de la guerre. Et c’est pourquoi existe un prix Nobel de la paix, distinct des prix scientifiques et littéraires.
Or, malheureusement, par rapport aux aléas climatiques, en ce début du XXIe siècle, la guerre reste un fléau bien plus meurtrier dans l’immédiat, bien plus menaçant pour l’avenir, et qui, lui, dépend exclusivement de l’action humaine. Sous une forme ou sous une autre, elle n’épargne aucun continent. De l’Afghanistan au Darfour, de la Colombie à la Somalie, de l’Irak au Sri Lanka, elle ensanglante des dizaines de pays, et 90% de ses victimes sont les populations civiles. Il y a treize ans, le génocide rwandais a ému l’opinion mondiale, à juste titre, mais, depuis, la guerre civile congolaise, étendue à tous les pays voisins, a tué 5 millions de personnes dans l’indifférence médiatique. La menace des armes d’apocalypse, que l’on croyait disparue avec la fin de la guerre froide, a resurgi en Corée du Nord, en Iran, puis avec le projet de bouclier antimissile américain, avec les expériences anti-satellites de la Chine, et même des pays traditionnellement pacifiques comme le Brésil évoquent la possibilité de se doter de sous-marins nucléaires. Dans ce monde-là, dans ce moment-là, est-il vraiment urgent d’abandonner la défense de la cause de la paix ?
Cet épisode devrait conduire le comité Nobel à repenser son action. Quand on voit la liste des Nobel de la paix décernée depuis l’origine, et même dans la période récente, on est frappé par le nombre de noms restés inconnus, ou manifestement distingués pour une commodité politique immédiate : les vrais faiseurs de paix y sont, hélas, l’exception. Pour ne prendre que deux exemples, comment se fait-il qu’aucun des pères de la construction européenne, ou au moins l’une des institutions de l’Union, n’ait jamais été distingué, alors qu’il s’agit sans doute de la plus extraordinaire œuvre de paix de toute l’histoire de l’humanité ? Plus récemment, comment les hommes et les institutions qui ont mis fin à la guerre civile congolaise évoquée plus haut ont-ils pu être ignorés du jury scandinave ?
L’affaire conduit aussi à une suggestion évidente : pourquoi ne pas créer un Nobel de l’écologie ? Déjà en 2004, la Kenyane Wangari Maathai avait obtenu le Nobel de la paix pour son beau travail de militante écologiste. Les promoteurs du protocole de Kyoto, les pionniers des biocarburants, les recherches sur le piégeage du carbone ou la voiture propre, les travaux de l’équipe du GIEC auraient pu, à bon droit, être récompensés à ce titre. Avec plus de raison que le bruyant Al Gore, dont le film spectaculaire contient de grossières erreurs scientifiques, comme le rappelait récemment Alain Duhamel.
Honorons donc chacun selon ses mérites : le spectacle hollywoodien par des Oscars médiatiques, les travaux scientifiques par une reconnaissance mondiale prestigieuse, et les hommes de paix comme les plus rares et les plus méritoires bienfaiteurs de l’humanité.
Alain Lamassoure, le 16 octobre 2007.