L’ouverture, version 2007


François Bayrou en rêvait, Nicolas Sarkozy l’a fait. Au nom de l’unité nationale, il a ouvert son gouvernement à des hommes venus du centre et de la gauche, il a repris la politique de VGE tendant à donner un vrai statut à l’opposition, et il multiplie, non sans malice, les offres de mission à des ténors du parti socialiste. Tout citoyen ne peut que se réjouir que des personnalités de la qualité de Bernard Kouchner ou de Martin Hirsch reçoivent enfin des responsabilités dignes de leur talent. Mais quelle peut être la vraie portée politique de cette ouverture ?


En dépit des apparences, et du vocabulaire, nous sommes loin de « l’ouverture » pratiquée par François Mitterrand en 1988. Celle-ci s’apparentait à un vrai élargissement des alliances politiques. A l’époque, l’entrée de plusieurs ministres issus de toutes les composantes de l’UDF dans le gouvernement de Michel Rocard s’était accompagnée d’une scission du groupe parlementaire de l’UDF, les centristes constituant leur propre groupe autour de Pierre Méhaignerie, Jacques Barrot, Bernard Bosson, avec notamment le jeune François Bayrou. Cela permit pendant trois ans à Michel Rocard de faire voter ses textes, tantôt avec le soutien du PC, tantôt avec celui des centristes : il s’était bel et bien bâti une véritable majorité de rechange. Cette attitude ouverte lui permit de maintenir une popularité inégalée pendant trois ans … mais en renvoyant aux calendes grecques les réformes les plus difficiles, comme celle des retraites.


Rien de tel aujourd’hui. Les personnalités sollicitées sont des individualités qui n’entraînent personne d’autre avec elles. Ni au Parlement : le groupe parlementaire socialiste ne s’est pas divisé – et l’UMP n’en a pas besoin, puisqu’elle dispose d’une large majorité à elle seule. Ni dans l’opinion : à la différence de leurs collègues UMP et centristes, aucun des Ministres venus de la gauche n’a affronté le suffrage universel ce printemps. Y-a-t-il un seul électeur de gauche qui votera, l’an prochain, pour une liste municipale de droite parce que Nicolas Sarkozy aura soutenu la candidature de DSK au FMI ? Evidemment non.


« L’ouverture » de l’été 2007 est d’une tout autre nature. Elle ne s’adresse pas aux partis politiques, mais à l’opinion. Ce qui « s’ouvre », c’est bel et bien un chapitre nouveau de la politique française.


L’ouverture d’aujourd’hui, c’est la respiration du débat politique enfin retrouvée. Marx est mort, enfin ! Et Mao, et Trotski et tout ce dogmatisme d’une redoutable efficacité auquel les intellectuels, les médias, et les politiques français ont succombé une bonne trentaine d’années de plus que les autres pays européens. Le vieux socialisme avait perdu depuis longtemps la bataille des réalités, mais, en France, il avait gagné la bataille morale : chaque parti s’excusait de ne pas être plus « à gauche », et même Jacques Chirac se croyait obligé de dire que le libéralisme était un fléau aussi grand que le communisme ! Les 35 heures, c’était inefficace, voire contre-productif, mais c’était moral. Comme le SMIC à 1 500 euros, ou la régularisation massive des sans papiers. Nicolas Sarkozy a balayé tout ça : en politique, ce qui compte ce n’est pas la morale des bonnes intentions – tous les enfers en sont pavés -, c’est celle des résultats. Voilà les masses prolétariennes du Parti communiste miniaturisées à 3%, et le grand prêtre de l’antimondialisme, le chouchou des médias, José Bové, fauché à 1% comme un vulgaire épi d’OGM. Alors, faute de s’être réconciliés à temps avec le réel, les plus modernes des dirigeants socialistes se convertissent au réalisme, en ralliant le vainqueur du jour.


Parce que la politique s’attaque de nouveau aux vrais sujets et pas aux préjugés idéologiques, les Français se sont mobilisés en masse : 85% de participation à l’élection présidentielle ! Pour exprimer un vote d’espoir : symbole de la désespérance et de l’exaspération face à l’échec des politiques, le Front National s’est effondré d’un coup, mettant fin à l’autre anomalie de l’exception française – l’importance de l’extrême droite.


L’ouverture 2007, c’est la porte ouverte à une nouvelle catégorie de gouvernants, plus représentatifs de la réalité de la société française : des femmes aussi nombreuses que les hommes, y compris aux Finances et à l’Intérieur ; une magistrate d’origine maghrébine en charge de la Justice, une jeune femme d’origine sénégalaise pour défendre les droits de l’Homme dans le monde, le Président d’Emmaüs, successeur de l’abbé Pierre, pour lutter contre la grande pauvreté.


L’ouverture, c’est aussi la liberté d’action. Fort du soutien populaire, dès le lendemain de son élection, et sans crainte d’un « troisième tour social », le Président élu engage toutes les réformes promises en même temps. Non pas en s’enfermant dans son palais, et dans ses certitudes, mais en recevant tous les syndicats avant de prendre ses fonctions, et en amenant la chancelière allemande partager le repas des ouvriers à la cantine d’Airbus à Toulouse.


L’ouverture, c’est enfin la confiance retrouvée de la France avec elle-même, avec l’Europe, avec le monde et, pour tout dire, avec son temps. Le « traité simplifié » donnera à l’Europe le meilleur de ce que contenait le projet de Constitution. La mondialisation, les changements climatiques, les tensions sur les matières premières, l’émergence des grands pays du Tiers Monde ne sont plus vécus comme des dangers implacables mais comme la grande aventure de notre temps, qu’il faut affronter par plus d’audace politique, plus de progrès scientifique, plus de solidarité à l’échelle planétaire.


Certes, comme tous les « états de grâce », celui-ci n’aura qu’un temps. Mais c’est une autre France qui en sortira. De droite ? De gauche ?


Ouverte.


Alain Lamassoure, le 23 juillet 2007