La France retrouvée


85% des électeurs fiers d’accomplir leur devoir civique. 75% d’entre eux votant dès le premier tour pour les représentants des grands partis de gouvernement, alors qu’il y a cinq ans ils n’étaient qu’un sur trois à le faire, et qu’un électeur sur deux était resté à la maison. La République est de retour. C’est une formidable bonne nouvelle !


« Réhabiliter la politique ». C’était, depuis des années, le leitmotiv de Nicolas Sarkozy. Trop de promesses non tenues, trop de petits ou gros scandales, et surtout, trop d’échecs dans la politique économique et trop de pusillanimité dans les réformes nécessaires avaient miné la confiance dans les majorités successives : depuis 1981, aucune majorité parlementaire sortante n’a été réélue. Scepticisme, dégoût, désespoir de beaucoup de nos compatriotes ont trouvé leur expression suprême le 21 avril 2002 : ce jour-là, 70% des ouvriers et des employés se sont abstenus, ou ont choisi des partis extrêmes ; et le 29 mai 2005, qui a vu une majorité de Français préférer dire « non » à l’Europe par défiance envers ceux qui les y représentaient.


Cette page est tournée. Un nouveau chapitre s’ouvre. Une nouvelle génération politique parle le langage de son temps. Les Français redécouvrent la fierté et la toute puissance de l’exercice de la citoyenneté : ce sont eux les souverains, capables d’assujettir les candidats à leur bon plaisir. Il y a eu un temps pour la protestation. Voici revenu le temps de la responsabilité: jamais les candidats extrémistes, ou porteurs d’un message trop spécialisé, n’ont été autant délaissés.


Nouveau chapitre, prolongeant le XXe siècle, ou nouveau tome de l’histoire de France, celle du XXIe siècle ? C’est l’enjeu du second tour.


Ségolène Royal rajeunit le style, mais, après un début prometteur, il y a un an, elle a finalement renoncé à rajeunir le fond. Son discours, son mode de pensée, ses propositions sont fidèles au credo de la vieille gauche française. Pour elle, tout ce qui est de gauche est moral, tout ce qui est de droite est immoral. Tout problème passe par plus d’argent public, donc plus de dettes aujourd’hui et plus d’impôts demain. Ceux qui réussissent sont des riches, qu’il faut punir d’être riches, sans se soucier de décourager ainsi la réussite et l’effort. Les entreprises sont suspectes d’exploiter leurs salariés quand elles embauchent, et coupables de crime social quand elles licencient. Le fait pour la France d’avoir le temps de travail hebdomadaire et l’âge de la retraite le plus bas du monde est un progrès social, même si la contrepartie est le taux de chômage le plus élevé d’Europe : il suffit de donner un statut aux chômeurs. Le service public est un dieu républicain, et ses usagers doivent être honorés d’être soumis aux caprices des syndicats corporatistes, premiers bénéficiaires du culte. La réussite extraordinaire des autres pays européens, y compris les pays socio-démocrates d’Europe du nord, qui ont les résultats sociaux les meilleurs de la planète, ne saurait inspirer le modèle français, car elle comporte trop de concessions au libéralisme honni.


Pour Nicolas Sarkozy, les problèmes ne sont ni de droite, ni de gauche, et les bonnes solutions sont celles qui réussissent. Il ne part pas des mesures techniques, mais des valeurs. Les valeurs républicaines: le travail, dont dépend l’insertion de chacun dans la société, la dignité des personnes, qui suppose la responsabilité de chacun, le bon sens économique, qui interdit de dépenser plus qu’on ne gagne, la famille, premier cercle de la solidarité, l’intérêt général, qui doit prévaloir sur les intérêts catégoriels, le service public, retrouvant sa vocation première de service du public, l’identité nationale, désormais renforcée par l’identité européenne.


Même différence sur l’Europe. Paralysée par la division du PS lors du référendum, Ségolène Royal renvoie les choix importants à une date ultérieure: en répétant que tout nouveau traité devrait compléter le projet de constitution et qu’il serait soumis à un référendum, elle prend délibérément le risque de casser l’élan donné par Angela Merkel pour élaborer un traité simplifié avant la fin de l’année. Et, au-delà, le risque immense de se heurter à un nouveau vote négatif, soit en France, soit ailleurs – pourquoi les Espagnols accepteraient-ils de bonne grâce un nouveau texte qui aurait l’heur de plaire aux Français plus que celui que nos voisins ont adopté à 75% ?


Comme Angela Merkel, Romano Prodi et José-Luis Zapatero, Nicolas Sarkozy a besoin d’une Europe qui fonctionne vite et bien. Une véritable Europe politique. C’est impossible sur la base des traités actuels: non seulement, l’obligation de l’unanimité empêche de trancher les différends entre 27 Etats mais, même lorsqu’on est tous d’accord, comme sur l’énergie et l’effet de serre, nous n’avons pas les moyens juridiques et politiques d’appliquer les décisions prises ! D’où l’urgence de reprendre, dans un traité ordinaire, celles des dispositions qui n’ont pas été mises en cause pendant le débat référendaire, qui ne préjugent pas le contenu des politiques de l’Union, mais qui organisent le mode de fonctionnement, le système de prise de décision, et l’élection des dirigeants de l’Europe par les citoyens. Tous nos partenaires sont d’accord pour essayer d’y parvenir d’ici la fin de l’année, pour faire ratifier par les Parlements nationaux et appliquer en juin 2009, au moment du renouvellement du Parlement européen. Cela acquis, on aura alors devant nous le temps nécessaire pour élaborer une vraie Constitution, en élargissant le débat au maximum, et en faisant alors se prononcer, non pas seulement les citoyens de quelques pays, mais tous les Européens par un référendum organisé partout le même jour.


A la veille d’un voyage passionnant et hasardeux, les Français ont le choix entre un pilote expérimenté qui sait où il veut aller, et une candidate qui considère que tous les vents peuvent lui être favorables. Après tout ce que notre pays a connu depuis vingt ans, avec deux millions de chômeurs, les jeunes à intégrer, l’Europe à relancer, les menaces du terrorisme et de la concurrence internationale, pouvons-nous encore nous permettre de confier l’avenir de la France aux préjugés du vieux socialisme corrigés par l’art de l’improvisation ?


Alain Lamassoure, le 24 avril 2007.