Un peu de fiction : “Et s’il n’y avait pas eu le Traité de Rome ?”
La Belgique n’existe plus. Les Etats indépendants de Flandre et de Wallonie négocient en vain depuis vingt ans le partage de la région de Bruxelles, devenue un no-man’s land.
Comme les pays d’Amérique latine, Espagne et Portugal ont une marche en dents de scie vers la modernité et la démocratie. Des régimes musclés succèdent à des gouvernements parlementaires faibles, rendus impopulaires par les assainissements financiers périodiquement exigés par le FMI. Entre la Grèce et la Turquie, plusieurs incidents militaires graves auraient dégénéré en guerre totale sans l’intervention vigoureuse des Etats-Unis.
L’Union soviétique ne s’est effondrée qu’en 1999. En contrepartie de sa réunification, l’Allemagne est sortie de l’OTAN.
Officiellement libérés du joug russe, les pays de l’Est ne sont toujours pas démocratiques. Partout, les ex-communistes ont su utiliser les procédures formelles de la démocratie pour conserver leur pouvoir. Sous couvert de privatisation, les clans au pouvoir se partagent le capital et le pouvoir dans les grandes entreprises. En Estonie et en Lettonie, l’agitation fomentée par les minorités russophones a légitimité une intervention militaire de Moscou, avec la bénédiction de l’ONU.
La guerre civile yougoslave se poursuit depuis plus de quinze ans. Des médiations successives de l’ONU et de l’OSCE ont obtenu plusieurs dizaines de cessez-le-feu, toujours bafoués. En pratique, le pays est divisé selon le partage des communautés ethniques. Il a fallu l’intervention conjointe de Washington et de Moscou pour empêcher la Bulgarie, la Grèce, la Serbie et la l’Albanie de se partager la République de Macédoine.
La paix est assurée plus solidement en Europe de l’Ouest. Mais la méfiance demeure entre les dirigeants, et la réconciliation n’a pas eu lieu entre les peuples. Chaque match de football France-Allemagne donne lieu à des affrontements violents de hooligans nationalistes. Paris, Berlin et Londres continuent de rivaliser en termes de zones d’influence. Paris encourage en sous-main Moscou à maintenir sa domination sur l’Est pour entourer l’Allemagne d’un cordon sanitaire de pays résistant à l’hégémonie germanique.
En Afrique, plusieurs guerres ont opposé des pays francophones et des pays anglophones, encadrés par des conseillers militaires envoyés par Paris et Londres.
La croissance économique de l’Europe est constamment enrayée par des crises monétaires récurrentes. Une vraie guerre monétaire a même opposé les pays centraux de la zone Mark et les pays occidentaux de la zone Franc, tandis que l’Italie s’enfonçait dans la récession et la crise politique pour avoir voulu accrocher sa monnaie au dollar.
A l’abri de toute concurrence nationale et européenne, les monopoles publics français plongent dans le déficit et la sous-productivité chroniques. La France a dépensé en vain des sommes astronomiques pour imposer le minitel face à internet. Seul constructeur aéronautique mondial, Boeing impose des prix tels que Air France, renflouée par l’Etat pour al 15ème fois, doit se contenter d’une flotte d’appareils d’occasion loués à une compagnie spécialisée.
La France souffre d’une forte inégalité entre ses régions. L’Ile de France est le premier pôle de croissance en Europe, les agriculteurs beaucerons sont les plus riches du monde occidental. Le nord et l’est pensent sauver leur textile par une surprotection douanière, leur sidérurgie par des subventions de fonctionnement, et leur production charbonnière par l’emploi de main d’œuvre maghrébine, renvoyant ainsi leur reconversion économique à la génération suivante. Faute de débouchés à leur agriculture, et de ressources disponibles pour des activités nouvelles, le sud et l’ouest de la France s’enfoncent dans le sous-développement économique et le clientélisme politique.
L’Académie française accueille en son sein le plus grand historien de son temps, immortalisé pour avoir démontré pourquoi l’union politique des Etats européens était scientifiquement impossible à ce stade de l’histoire de l’humanité.
Alain Lamassoure, le 25 mars 2007.