Transformer l’essai


Depuis l’adoption du quinquennat, qui conduit à organiser les élections législatives au lendemain de la présidentielle, la compétition électorale majeure de la Ve République ressemble au rugby : le 6 mai, Nicolas Sarkozy a marqué un essai. La transformation aura lieu les 10 et 17 juin prochains. Avec une nuance de taille par rapport aux règles du ballon ovale : au rugby, la réussite de la transformation apporte des points supplémentaires ; dans notre système politique, l’échec de la transformation enlève tous les points de l’essai. La victoire se transforme alors en match nul, et le match nul condamne à l’impuissance jusqu’à la partie suivante – dans cinq ans !


Certes, ce second temps fort s’annonce favorablement : après avoir atteint la ligne de but par une fantastique percée à droite, le long de la touche, notre joueur a piqué résolument vers le centre pour aplatir entre les poteaux. On disait le candidat compétent et digne du poste, mais ses adversaires le décrivaient comme sectaire, brutal, hautain, sourd aux avis, enfermé dans un clan, bref, « inquiétant ». Or, on découvre un Président tout simple, dédaignant les ors de l’Elysée pour aller à la rencontre des autres, invitant les syndicats avant même de prendre ses fonctions, décidant de faire lire dans toutes les classes la dernière lettre d’un lycéen communiste héros de la Résistance. Il constitue le premier gouvernement français fondé sur la parité entre hommes et femmes, ouvrant des postes-clefs à une jeune femme d’origine maghrébine, et à des hommes du centre et de la gauche. Il déjeune avec les ouvriers d’Airbus à Toulouse avant même la réunion de son premier Conseil des Ministres. Il réforme dès le premier jour quelques-unes des administration les plus illustres, pour créer un Ministère d’Etat chargé de réconcilier la croissance et l’écologie, un Ministère inédit pour rendre l’immigration nécessaire compatible avec le respect de l’identité nationale, un Ministère qui devra mettre l’Economie au service de l’Emploi, et un Ministère consacré au redressement de tous les Comptes publics. Il affiche les étoiles européennes à côté du drapeau tricolore sur sa photo officielle, et entreprend aussitôt le tour d’Europe pour proposer à nos partenaires la voie de sortie de l’impasse dans laquelle se trouve l’Union depuis deux ans.


Pris de court, les partis d’opposition n’ont, ni surmonté, ni même compris les raisons de leur défaite. Ils n’ont toujours pas de réponses aux questions fondamentales que Nicolas Sarkozy a posées tout au long de sa campagne, et qu’il commence à traiter : comment remettre toute la France au travail, comment réorienter les dizaines de milliards d’aides publiques vers ceux qui en ont vraiment besoin, comment affronter la mondialisation à armes égales, comment relancer la construction européenne en panne ? François Bayrou souhaitait un gouvernement formé des meilleurs talents de droite, du centre et de la gauche : il l’a, et sa seule réaction est de s’indigner que ses amis en fassent partie ! Quant au parti socialiste, il en est réduit à promettre à ses électeurs qu’il se dotera d’un nouveau programme, d’un nouveau leader et de nouvelles alliances … après les élections suivantes. Le message de ses dirigeants revient à ceci : « Faites nous confiance. Certes, nous sommes divisés comme jamais, nous avons perdu le match imperdable, notre projet n’est plus adapté au monde d’aujourd’hui, nous n’avons plus d’alliés, le « peuple de gauche » est passé à droite, mais soyez assurés que nous saurons ce qu’il aurait fallu faire pour gagner après la défaite suivante.


Comme en 1958, après des années de crise et de doute, les Français sont devant une opportunité historique : ils tiennent entre leurs mains la possibilité d’engager tout de suite la révolution tranquille dont le besoin était massivement ressenti par les 85% d’électeurs qui se sont rendus aux urnes le 6 mai. Ne ratons pas la transformation de l’essai !


Alain Lamassoure, le 2 juin 2007.