ACCIS: “L’Europe a une occasion formidable d’aller vers la fin d’une concurrence fiscale débridée”

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Les faits – Les députés européens voteront mercredi, en commission des affaires économiques et monétaires, le rapport d’Alain Lamassoure sur la mise en place d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), ainsi que celui du socialiste Paul Tang, concernant une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés. La Commission européenne a présenté deux propositions distinctes, l’une visant à définir le bénéfice imposable, la seconde à le consolider ensuite au niveau de l’Union européenne. Les deux rapports devraient être à l’ordre du jour de la session plénière de mars.

Quel est l’enjeu de votre rapport sur l’impôt sur les sociétés ?

En matière fiscale, le Parlement européen n’a qu’un pouvoir limité. Avec mon corapporteur, Paul Tang, nous avons donc décidé de nous concentrer sur quatre points fondamentaux. Le premier, c’est de dire que les deux directives, celle sur la définition du bénéfice imposable et celle sur la consolidation, doivent aller de pair. Les entreprises sont à ce sujet unanimes et nous avons réussi à convaincre Paris et Berlin. Notre deuxième recommandation est de ne prévoir aucun seuil et de l’appliquer à toutes les entreprises, alors que la Commission propose de rendre le système obligatoire à partir de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Là aussi, la France et l’Allemagne sont sur notre ligne. Nous proposons aussi de créer, pour une durée limitée, un fonds de compensation qui serait alimenté par les pays qui gagneraient de la base fiscale et serait destiné à ceux qui en perdraient. Enfin, nous voulons inclure dans l’assiette commune consolidée (ACCIS) le traitement fiscal des activités numériques. C’est un problème qu’on ne peut éternellement renvoyer à plus tard !

Que suggérez-vous ?

D’une part, une définition de « l’établissement permanent numérique », qui permettra d’imposer une entreprise dans un pays même si elle n’y a pas d’établissement permanent physique. D’autre part, un critère supplémentaire lors de la phase de consolidation. Une fois que le bénéfice imposable aura été calculé à l’échelle de l’Union, il faudra le répartir entre les Etats membres en fonction de la proportion d’activités réalisées dans chacun d’entre eux. La Commission propose de prendre en compte le chiffre d’affaires, les effectifs et les actifs tangibles. Nous souhaitons ajouter à cette clef le facteur numérique en retenant, comme pour l’établissement permanent numérique, la définition qui figure dans le règlement général sur la protection des données, c’est-à-dire le fait pour une entreprise de collecter et/ou d’exploiter des données numériques personnelles à des fins commerciales. Car dans l’économie numérique, tout est par définition délocalisable, sauf les données personnelles.

La France réclame une taxe spécifique sur les géants du Net, assise sur le chiffre d’affaires réalisé dans chaque Etat membre. Est-ce une bonne chose ?

Je ne suis pas en phase avec cette manière de traiter le numérique. Un tel système reviendrait à mettre en place un impôt indirect, dont le coût réel serait supporté par les clients. De plus, si on ne veut pas trop surenchérir le coût des prestations pour les consommateurs qui utilisent beaucoup Google, Apple, Amazon ou autres, on ne peut pas prévoir un taux d’imposition très élevé. Face à la demande pressante de la France, la Commission va être obligée de mettre quelque chose sur la table, sans doute en mars. Mais cela ne pourra être qu’une solution à court terme qui, selon mes informations, rapportera moins de cinq milliards d’euros par an pour toute l’Union, ce qui est dérisoire. A long terme, la solution est d’introduire le numérique dans l’ACCIS.

Craignez-vous un enlisement des discussions ?

Le projet d’ACCIS a été relancé par les LuxLeaks. Ce que je crains, c’est qu’il soit de nouveau gelé pendant les négociations sur la fiscalité du numérique. Or, si les Etats membres laissent traîner les choses, la fenêtre d’opportunité risque de se refermer. Je vais donc me battre pour dire aux Français de ne pas oublier l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés. C’est pour les Européens une occasion formidable de faire un pas de géant vers la fin d’une concurrence débridée en matière de fiscalité des entreprises.