Taxation des GAFA : le Parlement européen recommande de moderniser l’impôt sur les sociétés (Le Monde)

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Le Parlement européen voudrait éviter qu’une fois de plus le projet d’uniformiser l’impôt sur les sociétés partout dans l’Union passe aux oubliettes. Mercredi 21 février, sa commission des affaires économiques et monétaires devrait, selon toute vraisemblance, adopter un rapport de l’eurodéputé PPE Alain Lamassoure défendant ce serpent de mer bruxellois d’une « assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés » (ACCIS). L’enjeu ? Adapter la fiscalité des entreprises à la réalité du numérique pour mieux lutter contre l’évasion fiscale, qui se nourrit des différences entre Etats membres.

L’idée de standardiser à l’échelle européenne le calcul de l’assiette de l’impôt sur les sociétés et la manière de consolider les profits (ou les pertes) des filiales d’une multinationale date d’il y a plusieurs décennies. Dès 1975, la Commission avait proposé une première directive « visant l’harmonisation des régimes d’imposition des sociétés et de l’impôt sur les dividendes retenu à la source ».

A l’époque, il s’agissait surtout d’accompagner le développement du marché intérieur en simplifiant la vie des entreprises transnationales. Mais, comme souvent sur ces sujets relevant directement de leur souveraineté, les pays avaient bloqué le projet au Conseil européen, et il avait été définitivement jeté aux oubliettes en 1990. La Commission n’a retenté sa chance qu’en 2011, avec une nouvelle proposition. Le même scénario s’est répété : le projet a été bloqué au Conseil.

Mais, à partir de la fin de l’année 2014, les scandales « LuxLeaks », « Panama Papers », ou « Bahamas Leaks » ont montré, comme jamais auparavant, l’ampleur des pratiques d’évasion et de fraude fiscales, et ont encouragé Bruxelles à ressortir la directive ACCIS du réfrigérateur. Fin 2016, le commissaire à l’économie Pierre Moscovici a présenté deux directives, l’une concernant l’assiette, l’autre la consolidation des profits des multinationales.

Ce projet réactualisé, censé s’appliquer obligatoirement à tous les groupes de plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires consolidé, vise à contrer les pratiques de planification agressive des entreprises, en rendant impossible le transfert artificiel des profits d’une filiale vers une autre, sur un territoire où l’imposition est plus accommodante. Mais il a immédiatement suscité les réticences de l’Irlande, du Luxembourg ou des Pays-Bas, connus pour leurs fiscalités bienveillantes à l’égard des multinationales.

Dans son rapport, uniquement consultatif (en matière fiscale, le Parlement européen n’est pas colégislateur), M. Lamassoure propose de modifier la version de Bruxelles afin que l’ACCIS s’applique à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. « Si elle représente une avancée, autant que cela profite aussi aux PME », estime l’ex-ministre délégué au budget du gouvernement Juppé.

Surtout, il recommande de prendre davantage en compte la numérisation des activités, et l’évasion fiscale qui peut en découler. La Commission a retenu trois critères pour déterminer les règles de juste répartition des profits entre les différentes filiales d’un groupe : le chiffre d’affaires de la filiale, ses immobilisations et sa main-d’œuvre. Le Parlement introduit un quatrième critère : la collecte et l’exploitation des données personnelles.

Le Parlement européen définit ainsi une « présence numérique » allant bien au-delà de la définition du siège social, servant jusqu’à présent de référence pour les fiscs nationaux. Un moyen, si cette notion était introduite dans le calcul de l’impôt, d’éviter la situation actuelle où les géants de l’Internet paient des taxes sans rapport avec les profits effectivement générés, notamment en France.

Cette « présence numérique » pourrait très bien être utilisée pour établir cette fameuse « taxe GAFA » réclamée par la France depuis l’été 2017, et que la Commission s’est engagée à proposer (ce sera le 21 mars). Mais Bruno Le Maire, qui est parvenu à convaincre une petite vingtaine d’autres pays (Allemagne, Italie, etc.) l’été dernier, réclamait plutôt une taxe sur le chiffre d’affaires des entreprises du numérique.

La solution, a priori séduisante, permettrait de faire rentrer rapidement des recettes fiscales, mais elle soulève plusieurs difficultés de taille : comment faire, dès lors qu’une entreprise enregistre des pertes ? Comment éviter les doubles taxations ?

Bruxelles pourrait contourner l’obstacle en proposant une taxe restreinte aux revenus publicitaires générés par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), grâce à l’exploitation des données personnelles des utilisateurs. Elle réfléchit aussi à un seuil de revenus en deçà duquel les sociétés ne seraient pas imposées (pour préserver les start-up).

Mais la Commission reste persuadée qu’une harmonisation de l’impôt sur les sociétés reste le moyen le plus puissant de lutter contre l’évasion fiscale, y compris celle des GAFA. C’est la raison pour laquelle, le 21 mars, elle pourrait également proposer d’amender sa proposition ACCIS de 2016 en y introduisant la notion de« présence permanente virtuelle » proposée par le rapport Lamassoure.

L’eurodéputé serait ravi d’un tel emprunt. Mais il reste dubitatif : « Je crains qu’au Conseil les pays membres ne se consacrent d’abord aux travaux sur la taxe sur le chiffre d’affaires. Ce qui leur prendra des mois, et ACCIS risque d’être à nouveau oubliée. »