Brexit : la preuve par l’absurde
Il y a 18 mois, le peuple anglais a décidé de quitter l’Union européenne. Il voulait récupérer sa pleine souveraineté. C’est-à-dire toute sa puissance, son influence mondiale, sa capacité d’agir seul vis-à-vis des autres grands de la planète. Fort bien.
Mais les Anglais se retrouvent devant un dilemme diabolique.
Leur première force économique, c’est la City de Londres. La City a réussi à être la première place financière de la zone euro, alors même que le Royaume-Uni n’était pas dans la zone. Mais cela n’a été possible que parce que le RU était membre de l’U.E. : toutes les règles de l’Union en matière financière, bancaire, produits financiers, marchés financiers, normes prudentielles, assurances étaient applicables à Londres. Ces règles devaient beaucoup au savoir-faire des diplomates, ministres et parlementaires britanniques à Bruxelles. Mais voilà que le Royaume quitte l’Union. Alors, de deux choses, l’une.
Ou bien, enivrée du triomphe de sa souveraineté retrouvée, l’Angleterre se dote désormais de ses propres règles bancaires et financières. Mais alors l’aire d’influence de la City se rétrécira inexorablement à la seule Grande-Bretagne. Comme la livre sterling, autrefois monnaie mondiale, s’est rétrécie aux seules îles britanniques. Car les banques, les opérateurs, les investisseurs américains, arabes, chinois et même anglais désireux de profiter du grand marché européen s’envoleront immédiatement vers le continent, où se trouve l’eldorado. Suivant l’exemple du gendarme des banques, l’Autorité bancaire européenne, qui est en voie de transfert de Londres à Paris.
Ou bien, seconde option, la plus raisonnable, l’Angleterre tient absolument à conserver sa première source de profit et de rayonnement international. Elle devra alors continuer à s’aligner sur toutes les nouvelles normes financières européennes. Comme aujourd’hui, mais dans une situation bien différente : désormais, ces normes seront décidées par nous, les Européens, sans eux, puisqu’ils auront quitté la table. Et naturellement ces règles prendront en compte les intérêts de Paris, de Francfort ou de Milan plus facilement que ceux de Londres.
Implacable dilemme. Il laisse les Anglais pantois. Ainsi, c’est en quittant l’Union qu’ils perdent leur souveraineté financière – une souveraine supériorité sur tous leurs partenaires.
Cette rude leçon s’appliquera dans d’autres domaines. Ils se faisaient fort de renégocier les 140 traités de commerce passés par l’Union avec des pays tiers. Mais pourquoi le Japon, le Brésil, l’Inde, les Etats-Unis ou la Chine feraient-ils plus de concessions à la Grande-Bretagne, qui n’offre qu’un marché de 65 M d’habitants, qu’à l’Union européenne, avec son demi-milliard de consommateurs ? Et il n’y a pas que les Etats : pourquoi David Cameron avait-il finalement renoncé à créer une Google tax anglaise, un impôt sur les géants du numérique ? Parce que seule l’Europe a la taille nécessaire pour affronter ces mastodontes.
La preuve vient d’en être apportée avec le versement des 13 milliards d’arriérés fiscaux obtenus de Apple par la Commission européenne au nom de l’Union.
Au XXIe siècle, la souveraineté ne survit pas à la solitude. C’est l’union qui fait la force, c’est-à-dire, pour nous, l’Union européenne.
Alain LAMASSOURE