L’écueil numérique menace l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés

La priorité donnée à la taxation de l’économie numérique pourrait desservir le chantier de l’harmonisation de l’impôt des sociétés en Europe. À moins que les États membres ne fassent d’une pierre deux coups.

La taxation des GAFA (Goggle, Apple, Facebook, Amazon) est le  cheval de bataille de l’UE. Au menu du Sommet européen des 19 et 20 octobre à Bruxelles, la question de la fiscalité des géants du Net va occuper les 18 chefs d’État et de gouvernement européen.

Si cette question de la fiscalité de l’économie numérique au sein de l’UE n’est pas nouvelle, l’accélération politique du dossier législatif s’est faite ces dernières semaines sous la houlette de l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et la France, qui se sont positionnées comme moteur de cette réforme.

19  États membres

« En tout 19 États membres sont intéressés par la taxation du numérique. Se mettre d’accord sur ce principe de la taxation de l’économie numérique est un grand pas politique », souligne une source à l’Élysée.

Du fait de leur identité numérique, les GAFA peuvent plus facilement déplacer leurs bénéfices vers des filiales installées dans des pays où la fiscalité leur est plus favorable. Résultat « Le taux d’imposition effectif des entreprises numériques dans l’Union est deux fois moins élevé que celui appliqué aux entreprises traditionnelles et souvent bien inférieur », assure la Commission européenne.

L’urgence politique donnée au dossier, notamment par Paris, pourrait cependant hypothéquer une autre réforme d’envergure mise sur la table par la Commission il y a un peu moins d’un an : celle de l’harmonisation de la base fiscale des entreprises.

Cette assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (Accis), déjà discutée en 2001, en 2007 puis en 2011, n’a jamais pu aboutir faute d’unanimité des États membres. Une condition sine qua non sur les sujets de fiscalité.

Bruxelles veut harmoniser l’impôt des sociétés d’ici 2021

La Commission européenne a dévoilé un plan d’action pour harmoniser l’impôt des sociétés en Europe, un projet qui a déjà échoué deux fois. Mais la multiplication des scandales fiscaux a cette fois donné plus de poids au projet.

Mais les différents scandales d’évasion fiscale (LuxLeaks, Panama Papers, etc.) ont donné un coup de fouet politique à la question de l’harmonisation de la définition du bénéfice imposable en Europe, et de la répartition des recettes de cette taxation entre les différents États membres.

Consensus épineux

Si le consensus sur la question de la définition commune du bénéfice imposable semble atteignable, celui portant sur la réparation des recettes au niveau européen s’annonce beaucoup plus épineux. « Il y aura surement des États membres qui seront gagnants et d’autres perdants », reconnait Alain Lamassoure, rapporteur sur ACCIS au Parlement européen.

Pour Paris, les négociations d’ACCIS s’annoncent trop longues pour attendre. De plus, le texte ne prévoit pas en l’état de mesures spécifiques permettant de taxer l’économie numérique. «  La localisation des actifs incorporels n’est pas couverte par la proposition ACCIS » regrette Cyril Maucour, responsable du département fiscalité du cabinet Bignon Lebray, lors d’une conférence de l’Institut Friedland sur ACCIS le 18 octobre à Paris.

Aujourd’hui, deux écoles s’affrontent : adapter ACCIS aux enjeux de l’économie numérique ou faire une proposition séparée pour régler le problème spécifique du numérique plus rapidement.

Pour la Commission, « la taxation de l’économie numérique pourrait facilement être intégrée dans le champ d’application des règles qui seront adoptées ». Mais consciente de l’urgence politique, Bruxelles n’écarte pas des « remèdes à court terme ». Parmi les pistes évoquées figurent l’idée d’une taxe ciblée sur le chiffre d’affaires, alors que l’impôt sur les sociétés cible normalement les bénéfices. Mais également une taxe sur les messages publicitaires.

Pour Paris, qui mène l’offensive en faveur d’une proposition séparée, intégrer les questions de taxation du numérique à ACCIS sera à terme « logique ». « Il est logique que ce soit ACCIS qui s’adapte à la spécificité de la taxation du numérique. Mais si le sujet n’avance pas rapidement, il faudra un texte à part qui fera office de mesure transitoire » explique une source élyséenne.  « Obtenir l’unanimité ne sera pas simple », prévient de son côté Alan Lamassoure.

La taxation des GAFA au menu du premier sommet numérique de l’UE

L’idée d’une nouvelle taxation des géants de l’Internet, poussée par Paris depuis plusieurs semaines, sera au menu du premier sommet européen consacré à l’économie numérique qui s’ouvre ce vendredi à Tallinn avec l’objectif de faire de l’UE un leader mondial dans ce domaine.

Au Parlement européen, qui n’a qu’un rôle consultatif sur les sujets de fiscalité, l’idée d’inclure la taxation du numérique est privilégiée. Dans le rapport qui doit être adopté en décembre, les eurodéputés proposent de compléter les critères d’imposition d’ACCIS en prenant en compte la spécificité de l’activité numérique.

La proposition de la Commission entend de calculer la base imposable en s’appuyant sur trois critères : les ventes, les salariés et le capital. La proposition du Parlement envisage l’ajout d’un quatrième critère : la collecte et utilisation des données à caractère personnel des utilisateurs de services et de plateformes en ligne. « Les données personnelles des utilisateurs sont la seule chose à ne pas pouvoir être délocalisées », précise Alain Lamassoure.

L’UE prête à augmenter les impôts des géants du Web

Une majorité d’États membres se sont mis d’accord pour commencer à préparer une nouvelle taxe sur les entreprises. Objectif : compenser les faibles taux d’imposition qui ont déjà coûté des milliards d’euros aux gouvernements européens.

Si les pistes d’inclusion du numérique dans la réforme ACCIS sont nombreuses, l’impatience politique autour de la taxation de GAFA pourrait cependant pousser les Etats membres à privilégier l’option de la mesure transitoire. Au risque de priver de son carburant numérique la réforme de fonds  prévue par l’UE sur l’ACCIS.