L’Union européenne veut en finir avec la fraude à la TVA
La Commission européenne veut remédier aux abus en matière de TVA transfrontalière. Sa proposition réclame une confiance partagée par tous les États membres, pourtant peu enclins à collaborer en matière fiscale.
Du fait de fraudes, de tentatives de corruption ou de faillites d’entreprises, plus de 150 milliards d’euros ont échappé aux fiscs des États membres de l’Union européenne (UE) en 2015, affirme un rapport de la Commission européenne qui se désole de ce manque à gagner notoire.
Bien décidé à y faire face, l’exécutif européen a présenté ce mercredi 4 octobre ses idées pour repenser la TVA transfrontalière, dont les failles actuelles ouvrent la voie à de multiples abus, notamment une tactique de tricherie aussi connue que répandue : la « fraude au carrousel ».
Une fraude massive entre États membres
Imaginons une entreprise A d’un État membre vendant un bien à une entreprise B dans un autre état membre. C’est une livraison intracommunautaire : elle n’est pas soumise à la TVA. Or cette entreprise B n’est autre qu’une société fantôme. Elle revend le bien à une entreprise C, dans le même pays. Cette fois-ci, la TVA s’applique : elle est payée par l’entreprise C à l’entreprise B.
Si l’entreprise C exporte à son tour (par exemple vers son complice, l’entreprise A), elle peut obtenir du Trésor public de son pays le remboursement de la TVA versée à l’entreprise B. Quand le Trésor public réclamera le montant de cette taxe à l’entreprise B, celle-ci aura disparu. Et les tours de carrousel peuvent ainsi se multiplier.
Ce scénario n’a rien d’hypothétique : sur la somme totale de TVA envolée chaque année, un tiers résulte de cette technique parfaitement maîtrisée autant par des entrepreneurs peu scrupuleux que des organisations criminelles, qui usent et abusent d’un marché unique mal assuré en matière fiscale, et ce depuis son instauration en 1993.
L’exonération de TVA entre États membres, décidée alors, devait pourtant être seulement temporaire : « Du provisoire qui dure 25 ans, cela commence à faire un peu long », a soupiré le commissaire Pierre Moscovici, en charge de la fiscalité, détaillant les mesures envisagées contre la fraude à la TVA entre États membres – « la plus massive (…) mais aussi la plus simple à résoudre »à ses yeux.
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Confier à l’entreprise exportatrice la collecte de la TVA
Concrètement, la proposition de la Commission s’apparente à une vraie « révolution copernicienne » puisqu’elle avance l’idée de confier à l’entreprise exportatrice la collecte de la TVA. Elle la déclarerait à l’administration fiscale de son pays qui la reverserait ensuite au fisc du pays acheteur.
Dans l’exemple précité, l’entreprise A, exportatrice, collecterait la TVA en vigueur dans le pays où est établie l’entreprise B. Et le fisc de ce dernier la récupérerait en bout de chaîne, empêchant la société écran de nuire. Quant au taux de TVA, il resterait celui du pays de destination (seul le concept de TVA est harmonisé en Europe, mais la fixation des taux reste à la discrétion des États).
Les États membres se confieront donc la tâche l’un à l’autre de collecter la TVA en leur nom. Ce qui rend nécessaire une certaine dose de confiance entre capitales – ce dont elles manquent parfois, notamment en matière fiscale.
L’obligation d’unanimité, un obstacle à cette réforme ?
« On peut craindre que cette proposition se heurte aux oppositions de certains États tels que l’Allemagne, la République tchèque ou l’Autriche », admet Eva Joly, députée du groupe des Verts/ALE, qui maintient que la règle de l’unanimité qui régit le volet fiscal est contre-productive. Il suffit en effet d’un État membre opposé à une réforme telle que celle présentée par Pierre Moscovici pour que le chantier s’arrête.
« Je serais de mauvaise foi si je disais que l’obligation d’unanimité n’est pas un handicap », explique pour sa part Alain Lamassoure, du Parti populaire européen, avant d’ajouter : « Mais il est surmontable quand il y a une véritable volonté politique des dirigeants et une vraie pression citoyenne. »
Pour l’heure, les travaux continuent. La Commission présentera en novembre un deuxième « paquet TVA », dont certaines propositions viseront spécifiquement les petites et moyennes entreprises. Ces dernières dénoncent souvent la complexité des règles relatives à la TVA, une taxe qui alimente le budget européen comme celui des États membres à hauteur de 1 000 milliards d’euros par an.
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Bruxelles attaque les montages fiscaux d’Amazon et Apple
La Commission européenne a de nouveau attaqué mercredi 4 octobre les montages fiscaux de géants américains du net, avec dans son viseur les pratiques d’Amazon au Luxembourg et celles d’Apple en Irlande. L’exécutif européen a d’une part exigé d’Amazon qu’il rembourse 250 millions d’euros d’« avantages fiscaux indus » au Luxembourg et il a d’autre part attaqué en justice l’Irlande pour ne pas avoir récupéré auprès d’Apple 13 milliards d’euros d’arriérés d’impôts.
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Ces deux annonces détaillées par la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, lors d’une conférence de presse à Bruxelles surviennent dans un contexte de croisade contre les géants de la Silicon Valley de la part de l’exécutif européen, qui souhaite mieux les encadrer tant dans le domaine fiscal qu’en ce qui concerne les données privées des particuliers.
Céline Schoen, correspondante à Bruxelles