Interview publiée dans “Sud Ouest”, le 9 mai 2013



Le 9 mai est depuis près de trente ans la (discrète) Journée de l’Europe. Mais, avec la crise, le sentiment anti-européen semble gagner du terrain un peu partout. Européen convaincu et élu UMP, l’Aquitain Alain Lamassoure veut croire que l’Union sera assez forte pour traverser cette énième tempête.


” Sud Ouest “. L’Europe est de plus en plus souvent montrée du doigt dans les pays en crise. Pourra-t-elle résister à cette nouvelle épreuve ?


Alain Lamassoure. L’Europe va plutôt moins bien que le reste du monde. Mais ce que la crise a révélé, c’est que les pays membres se divisent en deux catégories : les cigales et les fourmis. Malheureusement, avec l’Espagne, l’Italie, la Grèce ou l’Irlande, nous faisons partie des pays cigales qui ont trop longtemps financé leur niveau de vie à crédit et qui vont être obligés de faire des réformes dans la douleur.


C’est précisément à cause de cette douleur que l’Europe se trouve remise en cause…


C’est tellement facile ! Qui est-ce qui a sauvé la Grèce ? Qui permet à l’Espagne de se financer sur les marchés à des taux d’intérêt supportables ? C’est l’Europe du Nord, et notamment l’Allemagne. Ce n’est pas l’Allemagne qui oblige ces pays à mener des politiques d’austérité. Ils se trouvent aujourd’hui dans cette situation parce qu’ils ont vécu au-dessus de leurs moyens.


Ce débat rappelle ce qui s’est passé entre le Bayern et le Barça en Ligue des champions. On ne peut pas reprocher au Bayern d’avoir des joueurs mieux entraînés, des tactiques plus efficaces et d’avoir fait depuis une dizaine d’années ce que les grands clubs espagnols ont oublié de faire.


En opposant le Nord et le Sud, ne risque-t-on pas de faire la preuve d’une certaine impuissance de l’Union ?


Dans leurs communautés d’intérêts, les pays européens sont encore plus unis que nous l’imaginions. Quand la City de Londres a été touchée par la faillite de Lehman Brothers, on a failli fermer l’aéroport de Bergerac. Quand les Allemands ont mis en place la prime à la casse pour soutenir leur industrie automobile, c’est finalement la filiale roumaine de Renault chargée de fabriquer la Logan qui a bénéficié le plus de ce dispositif.


Mais, effectivement, parallèlement à cela, nous n’avons pas su mettre en place un modèle européen de solidarité qui permette de faire face ensemble à des problèmes qui sont désormais communs. Aujourd’hui, nous ne sommes pas capables de nous assurer que lorsqu’il y a de bonnes nouvelles chez l’un, cela se diffuse chez les autres. Pas plus que nous ne sommes en mesure de faire en sorte que, lorsqu’un pays doit faire face à un gros pépin, les autres puissent lui venir en aide. C’est cela qu’il faudrait corriger si nous voulons tirer les enseignements de cette crise.


Quelles solutions proposez-vous ?


La première chose à laquelle je pense est le budget commun. C’est actuellement ma responsabilité puisque je préside la Commission des budgets, et c’est la grande négociation que nous engageons en ce moment même entre le Parlement et les 27 gouvernements sur le cadre du budget, pour la période 2014-2020. La première réunion aura lieu lundi. Nous ne pourrons financer des investissements d’avenir à l’échelle de l’Europe pour les grandes infrastructures ou la recherche que si nous trouvons de nouvelles ressources fiscales qui ne soient pas des charges supplémentaires pour les budgets nationaux. La taxe sur les transactions financières qui va se mettre en place dans une petite moitié des pays européens, dont la France et l’Allemagne, fait partie des pistes que nous sommes en train d’étudier au même titre qu’une ressource TVA.


Mais comment pourrait-on mieux faire émerger une identité européenne ?


Les choses avancent. L’Europe va enfin avoir un visage, un responsable. Le président de la Commission européenne était jusqu’à présent nommé, comme un haut fonctionnaire international, par un accord entre les principaux gouvernements. À partir de l’année prochaine, il va être élu par le Parlement européen. C’est-à-dire que ce Monsieur ou cette Madame Europe sera en fait élu par les citoyens, un peu comme nous élisons un maire après la désignation du Conseil municipal.


Quels changements faut-il en attendre ?


Les grands partis politiques européens s’y préparent. En février ou en mars 2014, chacune des grandes familles politiques européennes devrait pouvoir désigner son candidat. Ce candidat fera le tour des 28 pays de l’Union et non plus des 27, puisque la Croatie va en devenir membre cet été. Il faudra qu’il parle. Qu’il dise la même chose dans chaque pays. Chaque famille politique devra donc avoir un programme commun, ce qui risque de ne pas être très simple. Cela ne s’est jamais produit.


L’Europe actuelle fonctionne de manière obscure et chaotique parce qu’elle est pilotée par 27 chefs de gouvernement qui doivent se mettre tous d’accord avant d’agir. Cela leur prend un temps fou. Il leur a fallu trois ans pour trouver une solution pour la Grèce, et on espère que ce sera la bonne.


Demain, dans la cabine de pilotage, il y aura un M. ou une Mme Europe qui sera fort de la légitimité donnée par le vote de 500 millions de citoyens européens. Il ne décidera pas seul. Son rôle sera de proposer des actions, de les présenter à l’opinion publique européenne et de les faire exécuter. Au bout de cinq ans, il devra rendre des comptes. Cela va tout changer. On ne se demandera plus si on est content ou pas de l’Europe, ce qui n’a pas de sens puisque nous sommes condamnés à vivre ensemble. En revanche, on pourra enfin se demander si la personne qui incarne l’intérêt public européen donne satisfaction ou pas.


RECUEILLI PAR PIERRE TILLINAC