Ratification de la Constitution : pour une flamme européenne
Le recours au référendum dans au moins une dizaine de pays pour ratifier un traité européen est un exercice sans précédent et à très haut risque. Aucun pays européen n’est vraiment familiarisé avec cette procédure très délicate qui, selon les modalités retenues, peut se prêter au choix le plus démocratique ou au populisme le plus simpliste. Certains (notamment au Bénélux) l’expérimenteront même pour la première fois. Les précédentes consultations de ce type sur des enjeux européens dans des pays comme le Danemark, l’Irlande et même la France (1992) incitent à la circonspection.
Dans tous les pays, le danger n°1 est la confusion entre le débat européen et la lutte pour le pouvoir au niveau national. Déjà, partout, les élections au Parlement européen ont tendance à être confisquées par les partis politiques, les médias, et les électeurs eux-mêmes au profit du débat national entre gouvernement et opposition. Ce danger est particulièrement grave en France, où la tradition de la Ve République donne au référendum un fort caractère plébiscitaire : le général de Gaulle, pendant tout son mandat, et François Mitterrand en 1992 s’en sont ouvertement servis pour poser aux Français la question de confiance sur leur acton personnelle. Or, aujourd’hui, deux Français sur trois sont spontanément favorables au progrès de la construction européenne, alors que plus de la moitié de nos concitoyens ont exprimé au printemps dernier leur défiance envers le pouvoir exécutif : bien présenté, un référendum sur l’Europe doit être gagné ; un plébiscite sera perdu.
L’objectif fondamental des partisans du « oui » doit donc être de déconnecter le plus possible l’enjeu constitutionnel européen et l’enjeu de pouvoir national. En protégeant l’Europe de l’éventuelle impopularité de l’exécutif et en protégeant celui-ci des aléas du référendum européen.
Le moyen le plus spectaculaire d’y parvenir serait de recourir au référendum dans tous les pays concernés, et d’organiser ces consultations populaires partout le même jour, en posant rigoureusement la même question partout. Il serait alors clair qu’il ne s’agit pas du référendum de Chirac, de Zapatero ou de Tony Blair, mais du pouvoir donné directement aux citoyens européens sur le choix de leur avenir commun.
A défaut, il est impératif qu’à tout le moins les Etats membres coordonnent leurs calendriers de ratification, de manière à créer une dynamique positive, ainsi que les pays d’Europe centrale ont su le faire l’année dernière pour le traité d’adhésion : en commençant par les pays les plus favorables, pour donner l’élan. Encore faut-il entretenir celui-ci et aider les opinions publiques à regarder au-delà de leur pré carré national.
Les derniers Jeux Olympiques ont montré, de nouveau, le caractère très fort et très médiatique du symbole du flambeau, transmis de main en main jusqu’au lieu de la prochaine rencontre fraternelle.
En s’inspirant de cet exemple, il s’agirait d’allumer une flamme « européenne » en un lieu symbolique (Rome ? Strasbourg ? Bruxelles ?), et de la transporter, le plus possible par des porteurs à pied, de capitale en capitale, au fur et à mesure qu’ont lieu les ratifications. Derrière la flamme, serait portée une banderole avec les drapeaux des pays qui ont déjà ratifié. Ainsi serait lancé un élan et créé un crescendo, la liste des pays – et le suspense – s’accroissant au fil des semaines. En recevant à son tour le cortège, chaque pays prendrait conscience du fait qu’il tient ainsi entre ses mains, non seulement son destin national, mais la flamme de l’espoir européen : qui oserait l’éteindre ? Dans les commentaires et débats qui accompagneront partout l’événement, l’argument sera de dire, au début : « vous ne pouvez pas bloquer le processus pour tous les pays qui vous suivent » ; et, vers la fin : « comment pourriez-vous désavouer les vingt pays qui ont montré la voie ? »
Alain LAMASSOURE, le 8 septembre 2004.