Pour gagner le référendum


Le ralliement de Jacques Chirac à l’option du référendum pour la ratification de la Constitution européenne n’aura pas surpris les lecteurs de cette rubrique. Voilà deux ans que, non seulement je milite pour le recours à la procédure la plus démocratique, mais que je ne cesse de prédire qu’il est politiquement impossible de l’éviter.


Jusqu’à présent, l’Union européenne reposait sur des traités, négociés par des diplomates et liant des gouvernements. Au contraire, la Constitution a été conçue par des élus des peuples, pour unir les citoyens eux-mêmes et pas simplement leurs dirigeants. Cette mutation démocratique exige l’accord explicite des citoyens. Tony Blair et Jacques Chirac doivent être félicités pour le courage dont ils font preuve en prenant ce risque politique qui est à la hauteur de l’enjeu.


Car le risque n’est pas mince. Le référendum est une technique très délicate qui, selon son emploi, peut être la voie la plus démocratique ou la plus ambiguë. A vrai dire, seuls les Suisses, et certains Etats américains comme la Californie, ont une pratique suffisamment longue pour en maîtriser l’usage : ce qui ne signifie pas que le « oui » l’emporte systématiquement (40% des référendums suisses aboutissent à un « non »), mais au moins les citoyens vont aux urnes pour se prononcer sur la question posée. Aucun des 25 Etats de l’Union européenne n’a une telle expérience. Les référendums y sont rares, voire exceptionnels, et les électeurs saisissent l’occasion pour exprimer leur mécontentement du moment, parfois sans rapport direct avec le sujet. En France, la tradition gaullienne leur a même conféré un caractère plébiscitaire avoué : le référendum y est d’abord une question de confiance posée par le Président au peuple français qui l’a élu. En 1969, le général de Gaulle a constaté qu’il n’avait plus cette confiance, et il en a tiré toutes les conséquences en démissionnant aussitôt. En 1992, au vu des sondages initiaux, très favorables, François Mitterrand a clairement cherché, sur le projet populaire de monnaie européenne, l’occasion de retrouver l’autorité politique qu’il avait perdue sur la scène intérieure : sur les 49% des Français qui ont voté « non » au traité de Maastricht, un gros tiers au moins étaient des électeurs de droite plutôt favorables à l’union monétaire mais désireux de saisir cette occasion inespérée pour en finir avec un Président qu’ils n’aimaient pas.


Le même phénomène risque évidemment de ce reproduire en 2005, de la part, cette fois, des électeurs de gauche – voire de certains électeurs du centre ou de la droite qui, comme en 1969, utiliseront ce moyen pour hâter une succession qu’ils appellent de leurs vœux au sein même de la majorité du moment. Et le même risque existe dans la plupart des autres pays.


Placés dans la même situation politique, tous les gouvernemnts auraient un immense intérêt à se mettre d’accord sur une stratégie commune de ratification.


La meilleure façon de déconnecter enjeu institutionnel européen et enjeu de pouvoir national serait d’organiser un référendum dans les 25 pays le même jour. Animés par l’euro-sceptique danois Hans-Peter Bonde et par moi-même, un groupe d’une centaine de Conventionnels a milité dès le printemps 2003 pour cette solution, la plus démocratique et la plus européenne. On nous a objecté que le référendum n’existait pas dans tous les pays. L’argument ne vaut pas grand’chose : partout, une loi simple suffit pour organiser un référendum d’effet consultatif, sachant évidemment qu’aucun gouvernement ne pourrait passer outre au résultat d’un tel vote populaire ; au demeurant, des pays sans procédure constitutionnelle, ni tradition référendaire, tels que le Luxembourg ou les Pays-Bas ont annoncé leur intention de donner l’exemple en la matière.


A défaut de cette solution « idéale », la mise au point commune du calendrier global serait absolument nécessaire. Les nouveaux membres de l’Union ont, ici, un rôle important à jouer : ils ont su, eux, avoir une vraie stratégie commune pour la ratification du traité de leur adhésion à l’Union, il y a un an. En commençant par faire se prononcer ceux d’entre eux qui étaient les plus favorables pour créer une dynamique positive. Un calendrier de même type, amélioré par le choix d’une date commune de référendum au moins pour un groupe de pays, pourrait créer des conditions propices.


Une autre idée simple, mais de grande portée, consisterait à ce que les Etats recourant au vote populaire s’accordassent sur les termes de la question à poser, voire sur son exposé des motifs.


Troisième recommandation : le débat sur les frontières de l’Union doit être clairement tranché. Le peuple français, pour ne parler que de lui, rejetterait sans hésiter la perspective d’une Europe politique dont il ne maîtriserait, ni l’identité, ni les frontières. Compte tenu des engagements bien imprudents pris envers la Turquie, le seul moyen de rassurer nos compatriotes sur ce sujet essentiel est de s’engager clairement à ce que toute nouvelle adhésion qui susciterait des réserves politiques soit subordonnée à un nouveau référendum dans notre pays.


Enfin, dans le cas français, la procédure même peut jouer un rôle important pour garantir l’esprit d’un référendum européen plutôt que d’un plébiscite national.


Les deux articles de la Constitution de la Ve République relatifs à l’usage du référendum (les articles 11 et 89) offrent chacun le choix de deux options possibles : le référendum relève toujours d’une décision du Président de la République, mais l’initiative peut venir, soit du gouvernement, soit du Parlement. Jusqu’à présent, les Présidents ont priviélégié l’initiative gouvernementale, qui leur permettait de maximiser l’impact du « oui » espéré au bénéfice politique de l’exécutif. Cette fois, la sincérité du vote et l’intérêt de la cause européenne recommandent catégoriquement de recourir à l’initiative parlementaire. Le fait que le Président de la République ait annoncé sa décision de principe le 14 juillet ne préjuge en rien la procédure qui suivra. Au demeurant, le Président peut se prévaloir du résultat des consultations auxquelles il avait procédé au printemps dernier : à ma connaissance, tous les chefs de parti avaient alors pris position en faveur du recours au référendum – lequel d’entre eux pourrait-il ensuite refuser d’apposer sa signature pour lancement de la procédure ? Naturellement, cela n’empêchera aucun de ces responsables de faire éventuellement campagne pour le « non », mais l’enjeu européen et le sort du pouvoir exécutif seront d’autant plus déconnectés que cette procédure fera l’effet d’une « première » politique dans l’histoire de la Ve République.


Plus il sera clair que l’enjeu du choix est l’avenir de l’Europe, plus le « oui » aura de chances de l’emporter : tous les sondages, comme les élections récentes, montrent qu’au moins deux Français sur trois soutiennent le projet européen. Au contraire, plus le débat sera ramené à un enjeu de pouvoir national, plus les électeurs seront tentés par le « non » : aux élections du printemps dernier une majorité de Français a tenu à sanctionner le gouvernement au pouvoir. Et ce phénomène s’est produit au même moment chez la quasi-totalité de nos partenaires. Le référendum sur l’Europe sera gagné, le plébiscite serait perdu.


Alain Lamassoure, le 7 septembre 2004.