Les trois miracles de la Constitution européenne


En dépit des apparences juridiques, le projet de Constitution européenne n’est pas un traité de plus: c’est une Révolution. Le passage de l’Europe des traités à l’Europe de la Constitution, ou de l’Europe des gouvernements à celle des citoyens.


Certes, ce texte est loin d’être aussi abouti que la Constitution américaine de Philadelphie, toujours en vigueur deux siècles plus tard. Il ne marque pas la fin de l’aventure, mais une mutation, la chenille devenant papillon.


La réussite finale de ce processus constituant n’exigera pas moins de trois miracles politiques. La formule ferait sourire, et même les plus optimistes auraient du mal à l’imaginer si deux de ces trois miracles n’étaient déjà acquis.


Le premier, c’est le consensus obtenu au sein de la Convention européenne. Tous les partis politiques de tous les grands partis nationaux de tous les Etats européens – à la seule exception des Conservateurs britanniques – se sont mis d’accord, non point sur un plus petit commun dénominateur, mais sur un modèle politique ambitieux, additionnant le meilleur du fédéralisme et une confédération moderne pour créer un pouvoir européen efficace et démocratique.


Second miracle: les gouvernements ont fini par donner leur accord à ce texte, qui leur crée un nouveau pouvoir concurrent: le Président français, le Chancelier allemand, le Premier Ministre de Sa Très Gracieuse Majesté auront bientôt auprès d’eux un Président de la Commission qui, à travers le Parlement européen, sera élu par les 450 millions de citoyens d’Europe. Pour reprendre la formule humoristique de Michel Barnier, ce résultat était aussi improbable qu’un accord des dindes sur le menu du repas de Noël. C’est fait depuis le 18 juin.


Le troisième miracle sera pourtant le plus difficile: c’est d’obtenir que les opinions publiques des 25 pays confirment l’accord donné par leurs gouvernements respectifs. Une dizaine de référendums de ratification ont déjà été annoncés. Si on considère que la probabilité moyenne d’un « oui » est de 70% dans chaque pays – ce qui est une hypothèse franchement optimiste -, un calcul simple montre qu’alors la probabilité d’obtenir dix victoires resterait inférieure à …1% !


Certes, la politique n’est pas l’arithmétique. Mais tout dépendra de la capacité des gouvernements concernés à faire prévaloir l’enjeu proprement européen sur le débat politique national. Ainsi, sur le continent, deux citoyens sur trois sont favorables à l’aventure européenne, mais les dernières élections ont montré que plus d’un sur deux était mécontent de son gouvernement actuel.


Alain Lamassoure, le 21 juin 2004