“Majorité présidentielle : le salut par les primaires”, article publié dans “Le Monde” daté du 21 avril 2010


Un toboggan : c’est l’impression qu’une grande partie des militants de la majorité présidentielle ressentent depuis l’automne 2009. Les sévères défaites électorales successives des printemps de 2010 et 2011 ont confirmé ce qu’expriment obstinément les sondages et, plus encore, ce que disent nos électeurs lors des porte-à-porte : la confiance est profondément rompue avec une partie des électorats séduits, voire enthousiasmés, par Nicolas Sarkozy en 2007.


En fond de tableau, bien sûr, dominent la crise économique, ses ravages sociaux et la politique de rigueur qu’elle exige. Au premier plan, le jugement a été brouillé par les images changeantes et peu compréhensibles des sujets ressassés par le pouvoir devant l’opinion : l’inutile suspense d’un remaniement ministériel choisi, se transformant en remaniement subi ; l’obsession des thèmes de la sécurité et de l’immigration, ressentie par l’électorat comme un aveu d’impuissance de la part de ceux qui en parlent comme s’ils étaient dans l’opposition, alors qu’ils sont en charge depuis dix ans ; la résurrection insolite du débat historique sur la laïcité, divisant publiquement le sommet de l’Etat ; et aujourd’hui l’adoption de réformes fiscales opposées à celles qui avaient été votées à l’été 2007. Quand les dirigeants eux-mêmes mettent tant d’obstination à insister sur leurs échecs, comment s’étonner qu’on oublie leurs réussites, intérieures et extérieures, même les moins contestables ?


Certes, un match n’est jamais joué à l’avance, surtout tant qu’il n’a pas commencé : au rythme des événements inattendus survenus depuis trois ans, l’année qui vient peut nous réserver encore bien des surprises. L’opinion ne commencera à se cristalliser qu’à partir de l’automne. Mais la majorité présidentielle a absolument besoin de reprendre l’initiative politique si elle ne veut pas subir les événements et, comme on dit en sport, si elle entend reprendre son destin en mains au lieu de s’en remettre aux défaillances espérées des autres.


Surprendre l’adversaire. Faire mieux que lui à son propre jeu. Surgir là où il nous attend le moins. C’est ce que Nicolas Sarkozy a fait, en 2007, dans une campagne conduite à la Bonaparte, style « campagne d’Italie », bousculant tous les codes traditionnels de l’art du combat électoral.


Il nous faut retrouver aujourd’hui une telle capacité de surprendre.


Au lieu d’envisager un recours en justice contre l’organisation des primaires à gauche, l’UMP aurait intérêt à s’inspirer de l’exemple que donne le parti concurrent. La pluralité des candidatures socialistes fait sourire à tort les porte-parole de la droite : c’est un vrai mouvement populaire qui portera le vainqueur de la primaire, créant cette fameuse dynamique qui est souvent la clef de l’élection. A condition que le vote soit ouvert le plus largement possible aux sympathisants du parti, et non pas limité à ses adhérents : une formation politique dont les cotisants ne représentent qu’un centième de l’électorat ne peut pas s’en remettre à ses seuls militants pour désigner le meilleur candidat du « peuple de gauche » ou du « peuple de droite ». Le P.S., et même les Verts, sont en train de découvrir le problème. De manière significative, les Français sont prêts à jouer ce nouveau jeu, puisque 30% d’entre eux se déclarent intéressés par une participation à la primaire socialiste. Si c’est le cas, imaginons l’élan politique dont bénéficiera le candidat de gauche !


Que verra-t-on alors dans le camp d’en face ? Un électorat centriste frustré – si l’alliance montée par Jean-Louis Borloo n’ose pas aller jusqu’au bout – ou  divisé – dans le cas contraire, puisque, de toute manière, François Bayrou est déterminé à se présenter. Et une UMP démoralisée par les sondages, affaiblie en profondeur par la perte des soutiens populaires acquis en 2007, et partant à la bataille en traînant les pieds derrière son candidat obligé.


La meilleure manière de perturber ce scénario-catastrophe déjà en cours d’écriture serait, pour le Président sortant, de prendre lui-même l’initiative de proposer des primaires à droite, en annonçant sa propre candidature. Il inviterait, soit la seule UMP, soit même toutes les formations qui le soutiennent, à organiser une primaire populaire, ouverte à tous les électeurs qui souhaitent participer au choix du candidat de la grande famille politique issue des élections précédentes.


Imaginons l’électrochoc ! Dans le camp de la majorité présidentielle, l’abcès serait crevé d’un coup : centristes ou UMP, les ambitions seraient mises au défi de se dévoiler. Si personne n’ose sortir du bois, la preuve sera faite que, pour représenter la majorité actuelle, Nicolas Sarkozy n’est peut-être pas le meilleur des candidats, mais que c’est le seul possible. Si un ou plusieurs poids lourds osent le défier, ils auront à affronter l’expérience du président sortant et sa formidable pugnacité : le vainqueur sera porté par une dynamique d’autant plus puissante qu’elle sera née d’un scénario complètement inattendu. D’un coup, l’espoir aura changé de camp. Et le risque d’un « 21 avril à l’envers » sera définitivement conjuré.


Contrairement à ce que croient trop de sortants, on n’est jamais élu sur un bilan. On est élu sur un projet, sur un espoir d’avenir, et le bilan ne sert qu’à rendre le projet crédible. Ayant purgé avant la campagne officielle les questions légitimes posées dans son électorat sur le bilan des dix dernières années, le candidat de la majorité sortante pourra se consacrer entièrement au seul sujet qui intéresse tous les Français : leur avenir, celui de leur pays, celui de leurs enfants.


Alain LAMASSOURE