Interview publiée dans « Libération » le 11 août 2010


«Il faut ouvrir le débat sur un impôt européen»



Par

ELODIE AUFFRAY –



Économie

11/08/2010 à 18h20


Le citoyen européen va-t-il aussi devenir contribuable européen? Lundi, dans une interview au

Financial Times Deutschland

, le Commissaire européen au Budget, Janusz Lewandowski,

a annoncé envisager la création d’un impôt européen

.


Le Commissaire présentera ses propositions fin septembre, mais a déjà annoncé ses quatre pistes de réflexion: une taxe directe sur les contribuables, une taxe sur les transactions financières, une taxe sur le transport aérien et une taxe sur les revenus générés par la bourse d’échange des quotas d’émission de CO2.


Une taxe, argumente le commissaire, permettrait d’augmenter le niveau du budget européen, tout en diminuant les contributions des Etats-membres. Elles représentent actuellement les trois-quarts des 140 milliards d’euros du budget communautaire annuel.


Les capitales n’ont pas tardé à réagir: pas question de créer un impôt communautaire, ont fait savoir les gouvernements britannique, allemand et français, trois des quatre plus gros contributeurs. Seul le ministre belge des Finances s’est prononcé en faveur de cette idée.


A l’inverse des Etats-membres, le Parlement européen penche clairement pour la mise en place d’un impôt européen. L’un de ses plus ardents défenseurs est


Alain Lamassoure


, président de la commission des budgets de l’institution.


Auteur en 2007 d’un rapport sur l’avenir des ressources propres de l’Union européenne, l’eurodéputé français (UMP) critique l’opacité du système actuel, qui favorise les intérêts nationaux et engendre des

«négociations de marchands de tapis».



Comment réagissez-vous à la proposition du Commissaire européen au Budget de créer un impôt européen?


Je me réjouis que la Commission européenne donne suite à une demande du Parlement européen qui date de trois ans: en mars 2007, sur la base de mon rapport, une

résolution

, adoptée par les 4/5e des députés, demandait à ce que la Commission réfléchisse à de nouvelles ressources. Nous avions lancé plusieurs pistes, notamment l’affectation d’une partie de la TVA ou de l’impôt sur les sociétés au budget européen. Depuis, d’autres gisements potentiels sont apparus: les diverses taxes carbone et les taxes sur le système bancaire (bonus, superprofits des banques, transactions financières, etc.)



Que pensez-vous des pistes de réflexion lancées par la Commission?


Je suis un peu déçu que l’éventail des propositions soit si restreint. La Commission élude certaines questions. Il faudrait sérieusement revoir l’option TVA. Cet impôt est harmonisé au niveau européen depuis plus de 30 ans, avec une même définition et un même mode de calcul, une même liste de produits sur lesquels un taux réduit peut s’appliquer. Il serait très facile de dire que, par exemple, 2% de la TVA perçue est affectée au budget européen. Si la Commission refuse de le faire, je peux aussi lancer au sein du Parlement la réflexion sur une taxe qui se baserait sur la TVA qui frappe les produits importés.



Quelles sont les recettes actuelles du budget européen?


Jusqu’au début des années 1980, le budget communautaire était alimenté par des ressources propres: taxe sur le chiffre d’affaires des entreprises sidérurgiques et minières, droits de douane. Puis il y a eu un effet de ciseau: les recettes ont baissé, pendant que les dépenses ont augmenté. En 1984, lors des négociations très difficiles du sommet de Fontainebleau, les chefs d’Etat ont décidé non pas de créer une nouvelle ressource propre, mais de compléter le budget par des contributions nationales, calculées, en gros, en proportion de la richesse de chaque Etat-membre.


Ces contributions nationales étaient conçues comme un supplément à caractère provisoire. Sauf que les dépenses se sont fortement accrues avec les compétences dévolues à l’Union européenne et avec l’entrée des pays de l’Est. Ainsi, de façon imperceptible, sans que jamais la décision politique ne soit clairement prise, les contributions des Etats-membres ont fini par représenter 75% du budget communautaire.



Le fait que le budget européen soit alimenté par les contributions nationales engendre selon vous des effets pervers…


Oui, car au moment de négocier le budget, ce ne sont pas 500 millions de contribuables qui se retrouvent autour de la table, mais 27 ministres des Finances, qui ont comme consigne de leur gouvernement respectif de parvenir à lâcher le moins d’argent possible, et d’en récupérer le plus. Ce sont des négociations de marchands de tapis, où chacun pense à son intérêt national.



Le contexte de crise ne compromet-il pas les chances de mise en place de cet impôt?


La crise financière a porté le coup de grâce au système des contributions nationales. Avant, les ministres des Finances ne voulaient pas donner d’argent, maintenant ils ne le peuvent plus. Tous le monde doit faire des efforts d’économie. Les pays doivent retrouver l’équilibre budgétaire, tout en soutenant le redémarrage de l’économie, qui se fera à travers l’éducation, l’innovation, la recherche… Le budget européen doit contribuer à cela. Par ailleurs, il faut se poser la question s’il est raisonnable que 40% du budget européen soit actuellement consacré à la Politique agricole commune, et autant à la politique régionale.



Plusieurs capitales se sont immédiatement dressées contre la proposition. L’impôt européen a-t-il une chance d’être adopté contre leur volonté?


Cela demandera du temps. La première réaction des Etats est forcément négative. Le Parlement a déjà réussi à obtenir de la Commission qu’elle émette des propositions ; il a fallu la harceler pour cela. Il faut maintenant que les chefs d’Etat se saisissent de ce problème, et non plus qu’il soit laissé aux seuls ministres des Finances. Le Parlement européen va s’engouffrer dans la voie ouverte par la Commission, poussera le Conseil à accepter l’ouverture des débats.


Je propose la mise en place d’une conférence financière européenne, une sorte de groupe de travail, à laquelle participeraient les Parlements nationaux. Car il ne s’agit pas de créer une fiscalité fédérale. La souveraineté fiscale demeurerait aux mains des Etats-membres. Nous souhaitons que l’Union européenne soit traitée comme une sorte de collectivité locale, qui bénéficie du droit d’avoir des recettes fiscales. Une autorité politique qui décide de dépenses doit aussi décider des recettes, et en assumer l’éventuelle impopularité.



Les citoyens sont-ils prêts à accepter un impôt européen?


Le citoyen alimente déjà le budget européen à travers les contributions nationales, sauf qu’il ne le voit pas. Si le niveau de l’impôt est décidé par le Parlement européen, les citoyens pourront demander des comptes aux eurodéputés à chaque élection. Le système actuel est complètement opaque, et ne permet pas au citoyen d’exercer sa responsabilité.


Pour plus de renseignements : site de

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