Changer la communication : pour un tableau de marche de la France


Où en sommes-nous ? Dans les réformes pour lesquelles nous avons élu Nicolas Sarkozy, en champion de la « rupture » ? Quelles sont celles qui sont achevées, celles qui sont en cours, voire celles qui sont reportées ou abandonnées ?


Où en sommes-nous dans la sortie de crise ? Dans les suites de la présidence française de l’Union européenne, et dans l’application des décisions prises dans le cadre du G20 ?


La France est-elle plus forte ou plus faible qu’en 2007 ? Vit-elle encore au-dessus de ses moyens ? Les inégalités se sont-elles accrues ou réduites ? Les délocalisations sont elles enrayées, l’immigration est-elle maîtrisée ? Et finalement, quelles sont les chances pour que demain soit meilleur qu’aujourd’hui ?


Ces questions simples, les Français nous les ont posées tout au long de la campagne des élections régionales. De manière surprenante, malgré le déluge d’argumentaires chiffrés émanant des ministères et du Mouvement populaire, l’organisation opportune d’« états généraux » sur les sujets les plus divers, de la ruralité à l’industrie, et les discours fondateurs ou refondateurs des dirigeants, aucune réponse claire n’est parvenue jusqu’à l’opinion. Or, plus le programme politique est varié et ambitieux, plus il faut un tableau de bord pour le suivre. Plus la crise est violente, plus le malade a besoin de savoir où il en est dans sa marche vers la guérison. L’utilisation médiatique des faits d’actualité dans un esprit compassionnel a montré son efficacité dans la conquête du pouvoir, mais aussi ses limites dans l’exercice de celui-ci : le dirigeant en charge est jugé sur les résultats, et rien d’autre. Ses actes sont cent fois plus éloquents que ses paroles, et les images elles-mêmes ne le portent plus que si elles reflètent la réalité du vécu quotidien. Même le super communicant qu’était Tony Blair a dû abandonner piteusement le pouvoir, peu après un triomphe électoral, pour avoir oublié cette évidence élémentaire.


Le premier besoin de la politique française aujourd’hui est un tableau de marche. Prenons les objectifs sur lesquels Nicolas Sarkozy a été élu et son gouvernement investi par la majorité parlementaire. Recensons les indices disponibles permettant de mesurer le chemin parcouru et, s’ils n’existent pas, sollicitons les experts pour les créer. Il est des domaines où les chiffres sont disponibles et bien publiés : tout ce qui concerne l’activité économique, les budgets, la délinquance. Mais il est aussi des chiffres moins connus, et parfois signifiants vis-à-vis de nos objectifs majeurs. Donnons-leur une publicité forte, régulière, et osons nous soumettre à leur verdict. Des exemples ?


« Travailler plus » se mesure, bien sûr, par le niveau de l’emploi, mais aussi par le taux d’activité des diverses catégories d’âge et celui des femmes, la durée annuelle du travail, l’âge moyen effectif de départ à la retraite, l’absentéisme des salariés, des fonctionnaires et des travailleurs indépendants. Sans oublier les journées de travail perdues, notamment par les usagers, pour fait de grève. Quels ont été les effets du RSA par rapport au RMI sur le retour au travail des chômeurs ? Et ceux du régime de l’auto-entrepreneur ? Que reste-t-il exactement de la loi des 35 heures – tiens ? On ne l’a donc pas abolie, alors que tous les discours officiels ne cessent de la vitupérer, à juste titre ? – et quelles en sont les conséquences actuelles sur la durée effective du travail, sur le budget de l’Etat, et sur la croissance ?


La croissance, justement. « Nous devons aller la chercher avec les dents » : cette phrase imagée a trouvé sa traduction détaillée et chiffrable dans le remarquable rapport rendu par Jacques Attali il y a deux ans. Il avait recensé 316 freins à la croissance. Donnons-nous le plaisir de saluer, par exemple chaque trimestre, la disparition progressive de ces freins : l’ouverture des magasins le dimanche, la suppression de la taxe professionnelle, la réduction de la TVA sur la restauration, le crédit d’impôt recherche-innovation, le statut de l’auto-entrepreneur sont à saluer à ce titre. Mais beaucoup reste à faire…


« Encourager la France qui se lève tôt », refrain scandé avec l’hommage répété à « ceux qui sont trop riches pour recevoir des aides et trop pauvres pour bénéficier d’allègements fiscaux ». L’INSEE fait des enquêtes régulières et très précises sur l’évolution du niveau de vie des diverses catégories sociales. Le sort des classes moyennes, des agriculteurs, des retraités est mesurable et mesuré. Les effets des nombreuses dispositions fiscales adoptées depuis trois ans doivent aussi être jugés à cette aune.


« Récompenser le mérite. » Il était entendu que l’exemple devait venir de haut : il était même annoncé que chaque Ministre serait jugé en fonction de la manière dont il honorerait sa feuille de route. Intéressante innovation, dont l’absence de suite n’a jamais été expliquée. La prochaine saisine du Parlement sur les nominations les plus importantes et l’accord sur l’avancement dans la fonction publique offrent de nouvelles occasions de montrer que les promotions obéissent à d’autres critères que la récompense de fidélités personnelles ou celle de ralliements d’opportunité.


« Réussir l’intégration ». C’était l’adresse lancée aux jeunes « des quartiers », et notamment à ceux qui sont issus de l’immigration. Mais hélas, avec la crise l’ambition ne peut pas se limiter à eux, puisque, en moyenne, un quart des jeunes Français sont sans emploi. Combien d’entre eux sortent-ils de l’obligation scolaire sans diplôme ni métier en main ? Combien remplissent-ils leur devoir électoral, participent-ils à la vie associative, sociale, sportive ou culturelle ? Combien de boulots précaires ont-ils eu avant de trouver un emploi stable ? Jusqu’à quel âge ont-ils été aidés par leur famille ? Combien ont-ils bénéficié des services publics de l’emploi, du RSA jeunes, ou/et du droit du chômeur à une formation complémentaire, et pour quel résultat ?


Quant au « plan Marshall des banlieues », pourquoi ne pas en mesurer aussi les résultats concrets ? Taux de chômage, taux de scolarisation, niveau et formes de la délinquance, mixité sociale, rénovation des logements, desserte par les services publics de proximité et finalement « désensibilisation » des quartiers sensibles sont des données parfaitement chiffrables.


« Réformer l’éducation ». Combien de parents mettent-ils à profit l’assouplissement de la carte scolaire ? Dans combien d’établissements les élèves saluent-ils l’enseignant en se levant quand il entre en classe, puis observent-ils le silence absolu durant le cours, revenant à l’éthique de respect que le candidat Sarkozy avait fait ovationner dans toute la France ? Quelle est la proportion d’écoliers qui sortent du CM2 en sachant lire, écrire et compter ? Quel est l’âge moyen des enseignants dans les établissements les plus difficiles ? Comment évolue le taux d’absentéisme des enseignants – et celui des enfants ? Où en est la mise en place d’un barème d’évaluation de la qualité des établissements, et l’idée d’encourager financièrement les progrès accomplis ?


« Si les déficits créaient de l’emploi, ça se saurait ! » L’initiative récente d’un élu socialiste affichant le montant de la dette publique devant sa mairie a été interrompue prématurément… alors qu’elle était excellente ! Oui, les déficits se sont terriblement creusés et la dette a explosé depuis deux ans : mais la crise en est la cause, et ces maux en sont les remèdes amers mais nécessaires. En revanche, au fur et à mesure de la sortie de crise, il sera très important de suivre, quasiment jour après jour, la valeureuse réduction des déficits sans laquelle notre pays s’engagerait dans une impasse économique. Et de la même manière que l’on calcule désormais la « trace carbone » de toute initiative publique, nationale ou locale, publions systématiquement la « trace budgétaire », l’impact sur le déficit, de toute nouvelle mesure. Bercy le calcule, bien sûr, depuis toujours, mais ces données ne circulent guère qu’entre les initiés de l’administration et du Parlement. Ce temps est révolu : quand l’Etat lui-même vit à crédit six mois sur douze, toute mesure non « gagée » par une économie correspondante doit être clairement affichée comme telle – et très sévèrement jugée.


Fort d’un tel tableau – qui, naturellement devrait être étendu aussi aux autres politiques, santé, environnement, immigration, etc. -, le Président de la République pourrait venir rendre compte aux Français devant les caméras, trois fois par an, à partir de données incontestables. Mais oui, la réforme est en marche ! La France avance. A travers toutes les tempêtes, le cap est tenu. Le capitaine est ferme à la barre. Y-a-t-il meilleure manière de répondre aux questions des abstentionnistes dubitatifs du mois de mars dernier et de préparer le grand rendez-vous de la France avec elle-même en 2012 ?


Alain LAMASSOURE, le 9 avril 2010