Adapter la gouvernance française à l’Europe


Appliqué depuis le 1er décembre dernier, le traité de Lisbonne met en place une organisation politique très différente pour l’Union européenne. Résumons-là.


Le Conseil européen a désormais un Président à temps plein. Le Parlement européen partage le pouvoir législatif et budgétaire à égalité avec le Conseil des Ministres, et c’est lui qui élit le Président de la Commission. Un impressionnant service diplomatique européen se met en place sous l’autorité de la Haute-Représentante, en charge de coordonner les diplomaties des 27 Etats membres et les relations extérieures de la Commission. Hors de Bruxelles, les Parlements nationaux acquièrent un droit de regard, et quasiment de veto, sur les projets législatifs de l’Union et les citoyens ont un droit d’initiative inédit dans tous les domaines relevant de la compétence communautaire.


L’Union devait-elle être plus fédérale ou plus confédérale, ou, disons plutôt, plus communautaire ou plus interétatique ? Le choix original fait par la Convention présidée par Valéry Giscard d’Estaing en 2004, et intégralement repris dans le traité de Lisbonne est de renforcer les deux volets : des institutions communautaires plus fortes, très inspirées du modèle fédéral de type parlementaire ; et une responsabilité plus grande confiée aux représentants des Etats dans les domaines qui restent fondamentalement de compétence nationale, mais où la coordination des politiques nationales devient une nécessité absolue – politique étrangère, bien sûr, mais aussi politiques de défense, politiques industrielles et politiques budgétaires, par exemple.


Chaque Etat membre a donc intérêt à adapter sa propre organisation politico-administrative pour défendre ses positions dans ce nouveau système, optimiser son influence dans la politique communautaire, et contribuer à la réussite du nouveau traité. Dans le cas français, cela exige un certain nombre de changements par rapport au dispositif actuel, qui n’a guère changé depuis trente ans.


– Nomination à l’Elysée d’un conseiller européen ayant un rang égal au conseiller diplomatique, et qui soit le sherpa du Président de la République sur tous les sujets proprement communautaires.


– Au sein du gouvernement, nomination d’un Ministre en charge des Affaires européennes. La tradition française était celle d’un Ministre délégué auprès du Ministre des Affaires étrangères, assistant celui-ci à Bruxelles dans les réunions du Conseil dit « Affaires générales ». La dégradation de la fonction en un modeste secrétariat d’Etat est un contresens qu’il est facile – et urgent – de corriger. C’est bel et bien une promotion au niveau de Ministre « plein », distinct du Quai d’Orsay, qui est aujourd’hui nécessaire. Un Ministre chargé de préparer la coordination interministérielle pour le Premier ministre, comme le fait le Ministre du Budget pour les arbitrages budgétaires. Cette promotion doit accompagner celle du Conseil Affaires générales, à partir du moment où les Ministres des Affaires étrangères n’y siègent plus et où c’est cette formation qui doit jouer le rôle principal dans la préparation des Conseils européens. Pour prendre une comparaison avec la gouvernance interne de la France, imagine-t-on un Conseil des Ministres élyséen préparé par les seuls secrétaires d’Etat ? Ce serait risible. C’est la situation actuelle du Conseil Affaires générales.


– Pour la coordination interministérielle, le système du Secrétariat général aux affaires européennes est bien rodé et bien adapté au fonctionnement de nos administrations centrales. Faut-il le laisser sous l’autorité directe du Premier ministre, ou le mettre sous celle du Ministre des Affaires européennes, ou revenir à la solution expérimentée par François Mitterrand d’un rattachement direct à l’Elysée ? C’est un choix à opérer en fonction de la manière dont le Président de la République conçoit la répartition des tâches entre son Premier ministre et lui.


– C’est évidemment le Quai d’Orsay qui va être soumis aux changements les plus importants. La responsabilité première confiée aux diplomates dans la représentation de la France à Bruxelles est une survivance qui ne se justifie plus que par le passé. Avec Lisbonne, tout change. Les Ministres des Affaires étrangères sont amenés à se consacrer exclusivement à la diplomatie, dont les grandes orientations se décideront de plus en plus à Bruxelles. Nos meilleurs diplomates doivent donc peupler le nouveau Service d’action extérieure de l’Union. En revanche, la préparation de tous les conseils des ministres européens relatifs aux politiques internes doit être confiée à une représentation permanente dépendant du Ministre des Affaires européennes ou du SGAE, mais distincte des Affaires étrangères. « Vous n’y pensez pas, ce serait un tremblement de terre ! » m’a dit un diplomate chevronné – à côté de toutes les réformes déjà engagées dans notre administration territoriale, ce sera plutôt un tsunami dans quelques tasses de thé…


– De manière plus inattendue, notre Parlement national devra aussi s’adapter à ses nouvelles responsabilités. Sur la politique étrangère comme sur la politique économique, la décision juridique et financière relève du Parlement national, mais elle doit désormais être systématiquement éclairée par la vision européenne, apportée à Bruxelles et Strasbourg. Il faut inventer la manière de faire travailler ensemble les commissions parlementaires compétentes. L’Assemblée Nationale française en est particulièrement consciente, et commence à multiplier les initiatives, au niveau de la commission des affaires européennes comme à celui du groupe parlementaire UMP.


– Les partis politiques nationaux doivent aussi mieux s’organiser pour être influents dans leurs familles politiques européennes respectives. Ils ont encore des marges de progression. Ainsi, l’UMP a réussi à faire élire Joseph Daul à la présidence du groupe PPE au Parlement européen, mais dans un organigramme qui comprend 42 secrétaires nationaux (les « ministres fantômes » du parti) l’Europe n’apparaît nulle part …


– Enfin, le Président de la République ou le Premier ministre pourrait trouver intérêt à réunir périodiquement autour de lui, ne fût-ce que de manière informelle, « l’équipe de France en Europe » : principaux ministres, parlementaires, hauts fonctionnaires, membres français des institutions européennes (y compris du Conseil de l’Europe et de l’OTAN), pour s’assurer que nos compatriotes jouent bien en harmonie dans le concert européen.


Chaque fois que de nouvelles institutions se mettent en place, c’est immédiatement que les partenaires concernés doivent adapter leur propre dispositif. Une organisation désuète qui survit à une révolution dans son environnement en retrouve une forme de légitimité funeste pour dix ans de plus.


Alain LAMASSOURE, le 12 avril 2010