Roses, rouges, verts : même combat?


La facilité avec laquelle socialistes, Verts et communistes plus ou moins repentis ont fusionné leurs listes au second tour des régionales ne s’explique pas seulement par le désir de garder des places. Elle illustre une convergence de fond, assez inquiétante pour notre pays.


La crise financière n’a pas eu que des conséquences économiques : le paysage idéologique, hérité de l’après-guerre, qui ne tenait plus que par un fil, a achevé de s’effondrer. Les mots « socialisme » et « libéralisme » n’ont plus de sens quand ceux qui continuent d’aduler Mao se livrent aux délices et aux poisons du capitalisme le plus échevelé, tandis qu’ailleurs des gouvernements libéraux ont dû prendre, fût-ce temporairement, le contrôle de leurs banques et de quelques grandes industries. Le combat politique a besoin d’un autre cadre de référence. Or, petit-à-petit, ce cadre se met en place. Les campagnes électorales de ces derniers mois, en Allemagne, de ces derniers jours en France, comme celles qui s’ouvrent au Royaume-Uni et aux Pays-Bas en donnent une première illustration. Le grand clivage est désormais : pour ou contre la croissance économique.


C’est le grand paradoxe européen, et un danger mortel pour notre continent. Depuis dix ans, l’Europe se traîne en lanterne rouge de la croissance mondiale, avançant péniblement de 1 à 1,5% par an tandis que l’Asie tourne à 10%, l’Amérique latine à 7 ou 8%, l’Afrique à plus de 5% et les Etats-Unis à plus de 2%. Maintenant que la crise est passée, chacun retrouve sa vitesse de croisière : les économistes s’accordent à estimer que la croissance potentielle de notre continent, entré faiblard dans la crise et sorti encore affaibli, ne dépassera pas 1,5% d’ici 2020. Et c’est à ce moment-là qu’une partie de l’opinion européenne s’effraie d’une « croissance ininterrompue qui va dans le mur » d’un « productivisme à tout crin » ou encore d’un « tout capitalisme qui a échoué ». Celui qui marche au pas ralentit l’allure parce qu’il s’effraie de voir ses concurrents courir !


C’est là que se rejoignent les orphelins de Karl Marx, dispersés entre-temps sur d’autres couleurs de l’arc-en-ciel. Privés de tout modèle économique alternatif, les communistes de tout acabit en viennent à dénigrer … l’économie elle-même : périsse l’économie qui, décidément, ne peut être que capitaliste ! Incapables, pour l’instant, de proposer une politique radicalement différente de celles que le pragmatisme a imposées un peu partout, les socialistes se concentrent sur le social, en feignant d’oublier que le financement du social n’est possible que dans une économie vigoureuse. Quant aux Verts, maintenant que les gouvernements européens ont fait de notre continent le plus respectueux des grands équilibres planétaires, ils ne trouvent plus leur identité que dans une surenchère fondamentaliste. C’est simple : ils sont contre tout. Contre la production végétale, qui exige trop d’eau et utilise trop de produits chimiques. Contre les OGM, qui pourtant épargnent l’eau et lesdits produits. Contre l’élevage, à cause des bouses de vache. Contre l’industrie, qui pollue par nature. Contre le tourisme, puisque les transports réchauffent la planète. Contre l’énergie nucléaire, bien sûr, mais aussi contre les microcentrales hydro-électriques, qui dérangent des espèces animales. Contre les biocarburants, rebaptisés « agrocarburants », qui affament les pauvres. Contre la voiture électrique … A la fin des fins, la seule politique qui a leur faveur, c’est le grand moins, seul moyen d’obtenir le « mieux ». Moins d’énergie, moins de transport, moins de consommation, moins de production, et même moins d’enfants pour une population mondiale mieux maîtrisée. C’est la décroissance.


Nous y voilà.


Idéologie redoutable, qui fait du repli sur soi, du refus du progrès scientifique et finalement de la paresse, des vertus cardinales puisqu’elles sauveraient, non pas l’âme des pratiquants, mais bel et bien la planète entière ! L’égoïsme frileux, érigé en générosité suprême ! Qui n’y souscrirait ? En même temps, on retrouve les échos de la campagne de François Mitterrand en 1981 : « travailler moins et gagner plus », au nom du « partage du travail ». Quand les socialistes choisissent comme leader l’ancien Ministre des 35 heures, les Verts font campagne pour les 32 heures, et toute la gauche française s’accorde pour la retraite à 60 ans, ignorant ce qui se passe même de l’autre côté de la Manche, du Rhin et des Pyrénées.


Conséquence logique des élections régionales : partout, les Verts ont obtenu le ralentissement ou le gel des grands travaux d’infrastructure, TGV, aéroports, comme l’arrêt des aides régionales au grand programme post-nucléaire ITER et aux nanotechnologies. Chacun est désormais prévenu : si la gauche veut s’unir en 2012, ce sera sur la base d’un programme de sous-croissance. Rendant tous nos problèmes définitivement insolubles : le chômage, le pouvoir d’achat, les inégalités, les retraites, l’endettement …


C’est pourquoi, au lieu de critiquer les Allemands pour leurs efforts et leur bonne gestion, la droite serait mieux inspirée d’inviter les Français à un grand sursaut national : tout, désormais, doit être subordonné à la maximisation de la croissance ! Pour connaître un développement « durable », encore faut-il qu’il y ait développement ! Pour faire du social, il faut d’abord trouver l’argent du social, et c’est la croissance qui le procure, pas l’appauvrissement collectif. Si l’on veut protéger la planète contre les excès de l’activité humaine, ce sera avec plus de progrès scientifique, et non en soumettant la science à l’idéologie verte.


Alain LAMASSOURE, le 23 mars 2010