Un nouveau Traité européen, pour quoi faire?


Pendant dix ans l’essentiel de l’énergie et du temps des dirigeants européens a été accaparé par les négociations d’élargissement de l’Union européenne et les tentatives successives d’adaptation de la maison commune à ce nombre croissant d’habitants. Une fois acquis le traité de Lisbonne et achevé le « grand élargissement », nous allons enfin pouvoir revenir à l’essentiel : le contenu des politiques européennes.


Or, pendant cette « décennie perdue », le reste du monde n’est pas resté immobile : émergence spectaculaire de la Chine et des autres puissances de l’ancien Tiers Monde, diffusion prodigieuse de toutes les techniques de communication jusqu’au cœur de l’Afrique, réactions en chaîne provoquées par le terrorisme islamiste, crises pétrolière, financière, économique, prise de conscience du caractère planétaire des menaces telles que les changements climatiques ou la prolifération nucléaire.


Pour rattraper le temps perdu, en mettant à profit ses moyens nouveaux, l’Union doit se doter d’un nouveau programme décennal. Ne mégottons pas sur l’ambition :

l’Europe du XXIe siècle est à inventer

.


Oui, il y a un « modèle européen ». C’est bien plus qu’un modèle d’économie sociale de marché.

C’est un art de vivre ensemble

dans la paix, intérieure et extérieure, en respectant les droits humains, les identités nationales, et l’exigence du développement durable. Il nous faut le parachever entre nous, et le valoriser à l’échelle mondiale.


1 – Cela suppose d’abord un

formidable réflexe de survie, pour sortir l’Europe du lent naufrage démographique et économique

, que la crise financière n’a fait qu’accélérer. La population active européenne commence à diminuer, alors que la population mondiale va s’accroître de moitié. Les économistes nous disent que la croissance potentielle de l’Union ne dépassera guère plus que 1,5%, quand les pays émergents repartent vers des croissances proches des deux chiffres. Réveillons-nous ! Aussi bienvenues qu’elles soient, les incantations en faveur du développement durable ne doivent pas aboutir à nous résigner au sous-développement durable. Fixons-nous un objectif moyen de croissance de 3%, un taux de fécondité supérieur à 2% (celui qu’a retrouvé la France), et, une fois surmontée la crise économique, un solde de finances publiques nous permettant de financer nos dépenses de santé et nos retraites sans reporter la charge sur les générations suivantes. Et dotons l’Union elle-même des ressources propres dont elle a besoin pour financer les politiques communes : le traité de Lisbonne lui a donné les moyens juridiques, mais pas les ressources budgétaires correspondantes.


2 –

Réinventons l’espace unique

. Qui dit marché intérieur doit dire aussi

biens publics européens

: la paix civile et la sécurité, les réseaux de transport et d’énergie, les droits sociaux, la diversité culturelle doivent être reconnus et traités comme tels.


Et l’espace européen ne se réduit pas à un marché : c’est

un espace de vie

. Dix millions d’Européens vivent désormais dans un pays de l’Union différent de leur pays d’origine ; chaque année plusieurs centaines de milliers d’enfants naissent de mariages binationaux. Permettre à une Danoise d’épouser un Portugais en Irlande, pour enfanter en Belgique, avant de travailler en Autriche, divorcer en Suède, prendre sa retraite en Grèce et léguer ses biens à ses petits-enfants polonais : tout est à faire pour aménager l’Europe comme un espace de vie personnelle.


Cela suppose aussi qu’elle devienne

un espace politique commun

. Nous avons fait tomber toutes les cloisons entre nous, sauf les parois de verre de nos débats politiques. Chaque pays reste concentré sur le nombril de son débat politique national (ah, la fascination irrésistible de la course à l’Elysée, au 10 Downing Street, à la Chancellerie, à la Moncloa … !), et « Bruxelles » fonctionne comme un 28e pays, tout aussi méconnu des 27 et tout aussi nombriliste. Brisons ces murs invisibles ! Branchons nos Parlements les uns sur les autres, mettons à profit le droit de pétition collective, interpellons le « triumvirat de Lisbonne » sur les sujets d’intérêt commun.


3 – Sortant de sa torpeur, l’Europe va découvrir qu’elle se retrouve dans un monde devenu multipolaire sans elle. En même temps,

pour s’organiser dans la paix, ce monde a besoin de l’expérience irremplaçable de l’Europe

. Qu’elle s’organise elle-même pour parler partout d’une seule voix : au FMI ou à l’OIT comme à l’OMC, aux négociations sur le climat comme aux conférences sur le désarmement, et même à l’ONU et au G20 ! Qu’elle sache quoi faire de sa monnaie si solide, face aux lendemains de crise qui vont bouleverser les cartes entre l’euro, le dollar, le yen et le yuan ! Qu’elle propose une organisation commune, pour un échange d’expériences, aux autres unions régionales qui s’ébauchent peu à peu sur tous les continents – Mercosur, Asean, Union africaine, Union du Maghreb arabe, Conseil de coopération du Golfe … ! Qu’elle se décide enfin à prendre en charge la responsabilité de sa sécurité extérieure !


On y va ?


Alain LAMASSOURE, le 12 octobre 2009