Quoi de neuf? L’impôt!


Il n’y a pas que la finance internationale dont les règles doivent être revues de fond en comble. C’est aussi le cas pour nos systèmes fiscaux : conçus pour l’économie et la société du XXe siècle, ils ne sont plus adaptés aux besoins et aux défis du XXIe.


Prenons l’exemple français, parce qu’il nous est le mieux connu, mais en étant conscients du fait que les autres pays développés sont logés à la même enseigne. Impôt jugé « imbécile » peu après sa création, la taxe professionnelle va être supprimée sans que l’on sache comment remplacer cette ressource fondamentale de nos collectivités de base ; vitupérées à chaque campagne électorale, les « niches » fiscales recommencent à proliférer immédiatement après ; le débat sur la « TVA sociale » a perturbé le second tour des dernières élections législatives, sans être vraiment conclu, mais la charge d’une fiscalité pesant excessivement sur les salaires reste un handicap majeur de l’emploi en France.


Mais c’est le projet de « taxe carbone » qui illustre le mieux notre difficulté à avoir une doctrine fiscale claire. Car, au moment où le déficit budgétaire atteint un niveau tel que la charge annuelle de la dette va dépasser le budget de l’Education nationale, voilà une nouvelle taxe conçue … pour ne rien rapporter : l’intégralité de son prélèvement sera remboursé immédiatement aux contribuables ! Il est à craindre que la bureaucratie en fasse son miel, plus sûrement que l’efficacité écologique, qu’une hausse de la bonne vieille taxe sur les produits pétroliers (TIPP) aurait suffi à satisfaire.


« Demander plus à l’impôt et moins au contribuable » : cette formule de magicien, qui a fait la fortune politique d’Antoine Pinay sous la IVe République, finit tout de même par trouver ses limites. Mais alors, sur quelles bases reconstruire un système fiscal moderne ? En partant des besoins de notre temps.


Le premier, le plus important, certains diront même le seul : la quantité. Le rendement. Ce qu’on attend d’abord d’un impôt, c’est qu’il rapporte. Qu’il finance les politiques publiques : l’éducation, la santé, les retraites, la sécurité, l’aide sociale … Nous souhaitons réduire la part des dépenses publiques dans le revenu national, mais pourtant jamais nous n’avons autant attendu de « l’Etat providence ». Avant tout autre objectif, l’impôt doit rapporter des sous. Le bon impôt n’a pas d’odeur, comme le rappelait cyniquement l’empereur Vespasien en taxant les lieux d’aisance. Et c’est celui dont l’assiette et le taux sont conçus, non pour tuer la poule aux œufs d’or, mais pour lui donner envie de pondre davantage : c’est le niveau de la croissance qui fait rentrer l’impôt, et non pas l’importance de son taux.


Le second principe, dont on sous-estime encore beaucoup l’importance : prendre en compte la mondialisation. Il y a cinquante ans, le commerce international était déjà très développé, mais les économies nationales étaient beaucoup moins ouvertes sur le monde. Aujourd’hui, tout ce qui peut circuler circule : les capitaux, les talents, les connaissances, le savoir-faire, les usines, les fortunes. Même à leur corps défendant, les Etats sont engagés dans une concurrence fiscale impitoyable pour les faibles : tout ce qui peut s’envoler est détaxé au détriment de tout ce qui est condamné à rester sur place. L’impôt devient léger aux « nomades » potentiels – personnes, ou entreprises – et se concentre sur les « sédentaires ». Sans même aller jusqu’à un paradis fiscal, les « nomades » ont toute latitude pour choisir un moindre purgatoire. La surpression fiscale à laquelle étaient traditionnellement soumis les entreprises et les riches trouve ici ses limites : la justice sociale doit trouver d’autres voies – ou un autre sens.


La troisième exigence, c’est la transparence démocratique. Maintenant que le service militaire a disparu, l’impôt est la seule contribution directe du citoyen à la vie de la communauté. Il doit donc être aussi simple que possible. Et surtout, chaque autorité politique ayant un pouvoir fiscal doit être clairement identifiée comme telle, par les électeurs-contribuables. C’est vrai pour chacun des niveaux de collectivités locales, comme pour l’Union européenne, dont les vraies sources de financement échappent au grand public.


Enfin, comme chez Einstein, la quatrième dimension, c’est le temps : s’il est une politique qui doit être « durable », c’est-à-dire durablement soutenable, donc aidant à sauvegarder notre avenir, mieux, à le préparer, c’est bien la politique fiscale. Ce qui veut dire, prélever assez pour préserver nos enfants de notre propre dette, mais soulager les investissements dont dépend la richesse future, éviter de punir ceux qui créent la richesse actuelle, et, en effet, « verdir » l’impôt pour qu’il incite à tout ce qui peut préserver les richesses naturelles qui nous sont indispensables.


La solution de cette équation à quatre inconnues surprendra, et même choquera certains : le XXIe siècle verra la réhabilitation de l’impôt indirect face à l’impôt direct. Quand tout peut circuler et que la richesse naît d’abord de l’échange, c’est à la faveur de l’échange qu’il faut prélever de quoi financer les politiques d’intérêt général. Autrefois, cela s’appelait l’octroi, la gabelle, les aides, le timbre, les péages, les droits de douane, les droits de mouvement, les accises, les droits de mutation, la taxe locale, la parafiscalité agricole, industrielle ou cinématographique. Puis est venue la génération de la TVA. Apparaissent maintenant la taxe sur le kérosène, les écotaxes, la taxe carbone. Les mouvements financiers intéressent fortement les lecteurs du professeur Tobin. Il y a trois ans, j’ai été victime d’un lynchage virtuel de la part d’internautes chatouilleux, pour avoir osé évoquer le gisement fiscal des nouveaux moyens de communication ; mais, depuis lors, des sujets nouveaux aussi différents que la protection du droit d’auteur sur la Toile, celle des enfants contre la pornographie ou le financement de la télévision publique et des réseaux à très haut débit ont fait progresser la réflexion.


Une seule chose est sûre : c’est d’abord par l’impôt que passeront la refondation de l’Etat, la légitimisation démocratique de la région comme celle de l’Union européenne, et finalement la cohabitation pacifique entre les grandes puissances de notre temps. Il n’est pas trop tôt pour engager ce débat fondamental.


Alain LAMASSOURE, le 28 septembre 2009