Afghanistan : les vrais enjeux sont ailleurs


Une « juste guerre » : c’était le sentiment unanime de la communauté internationale lors de l’intervention en Afghanistan après l’horrible massacre du 11 Septembre. Un sentiment encore renforcé après l’invasion beaucoup plus controversée de l’Irak par la coalition américano-anglaise.


Sept ans après, l’indulgence des opinions publiques et des observateurs envers l’opération est, hélas, difficilement compréhensible. Certes, les élections présidentielles ont pu se dérouler convenablement, et la participation électorale a été relativement forte. Mais Oussamah Ben Laden et le Mollah Omar restent introuvables. L’Afghanistan n’est plus une base pour Al Qaïda, mais l’organisation a largement essaimé dans tout le monde musulman, de l’Indonésie au Maghreb, et elle a trouvé un nouveau terrain de jeu inespéré en Irak. Les talibans sont de retour dans un nombre croissant de provinces, et, malgré le courage des Anglais, des Canadiens et des Français, l’ardeur au combat de beaucoup de contingents de la force internationale est devenue inversement proportionnelle à celle de leurs adversaires. Le pavot, qui avait été éradiqué, refleurit et assure désormais 90% des exportations afghanes (environ 3,4 milliards $) et une proportion comparable de … la consommation d’héroïne en Europe. Honnis de la population, les « seigneurs de la guerre » continuent de contrôler leurs fiefs respectifs, et si les femmes ont acquis le droit de vote, nombreuses sont celles qui se rendent dans l’isoloir en burkha traditionnelle. Les 32 milliards de dollars dépensés depuis sept ans par la communauté internationale en Afghanistan – soit trois fois le PIB annuel du pays ! – ont un rendement aussi décevant sur les résultats militaires que sur le développement économique.


Et pourtant, là n’est plus l’essentiel. Il est de plus en plus évident que l’Afghanistan n’est qu’un théâtre secondaire. Le choix entre la guerre et la paix dans ce malheureux pays sans véritable Etat ne se décide pas à Kaboul, mais dans les pays voisins, à commencer par le Pakistan : Islamabad ne peut pas supporter l’idée d’un pouvoir afghan politiquement proche de l’ennemi héréditaire indien. Or voilà qu’aujourd’hui le Pakistan est gravement miné à son tour par ses propres mouvements talibans locaux, contre lesquels l’armée mène désormais une guerre ouverte dans le nord-ouest du pays, que le pouvoir central n’a jamais vraiment contrôlé. La déstabilisation du Pakistan, cinq fois plus peuplé, acteur clef du monde musulman comme du continent asiatique, et doté de l’arme nucléaire, aurait des conséquences infiniment plus graves que tout ce qui peut se produire en Afghanistan. La priorité absolue doit donc être donnée à la stabilité du Pakistan, ce qui met en jeu des méthodes, des moyens, des acteurs et, finalement, un échiquier très différent : l’Inde est ici le premier partenaire concerné, mais il faut aussi tenir compte de la Chine et de la Russie, sans oublier l’Iran, et même un pays comme l’Arabie saoudite, politiquement très proche d’Islamabad.


Le mérite de l’administration Obama est d’avoir compris ce déplacement des enjeux, symbolisé par le nouveau vocable « Af-Pak ». Mais de ce grand jeu-là, l’Europe ne peut pas rester absente : les moyens mis en œuvre et les sacrifices consentis depuis sept ans doivent lui valoir un droit de suite, vis-à-vis du grand partenaire américain comme vis-à-vis de nos propres opinions publiques. Sans attendre la mise en place du futur Haut-Représentant de l’Union, les principaux pays européens contributeurs à la force OTAN pourraient constituer un « groupe de contact » de haut niveau pour assurer une première présence européenne autour de ce grand échiquier.


La guerre d’Afghanistan a commencé pour détruire le repaire d’Al Qaïda, avec l’espoir de bâtir un Etat afghan moderne. Le premier objectif est atteint, mais l’hydre a fait repousser ses têtes ailleurs ; le second semble, hélas, hors d’atteinte. Cette guerre s’achèvera comme élément constitutif, ou comme sous-produit, d’un accord régional de paix en Asie du Sud et en Asie centrale. Le moment est venu d’en tirer toutes les conséquences militaires et politiques.


Alain LAMASSOURE, le 28 août 2009