Emprunt national ou prise de participation européenne ?


L’annonce d’un projet d’emprunt national est un nouvel exemple de l’habileté tactique de Nicolas Sarkozy. Aidé – hélas – par l’inculture économique de nos compatriotes, il transforme le péché mortel du surendettement national en un remède miracle pour financer des investissements d’avenir inédits. Au lieu de tourner en rond dans des manifs mensuelles impuissantes contre les méfaits de la crise, les partenaires sociaux sont invités à travailler sur de nouvelles idées de dépenses, pour lesquelles aurait été trouvé un financement miraculeusement indolore, vertueux et quasi illimité. Le contribuable, qui avait toutes les raisons de craindre que la montagne de dettes débouche sur une augmentation de sa charge fiscale, se retrouve transformé en épargnant vertueux, qui sera financièrement récompensé de sa contribution valeureuse et civique au redressement national. Ce faisant, le Président gagne du temps pour faire patienter l’opinion, jusqu’à ce que le plan de relance décidé il y a quelques mois commence réellement à produire ses effets positifs.


Cet emprunt « politique », au sens fort du terme, comporte un risque : celui de ranimer dans l’esprit de nos compatriotes, toujours trop prompts à s’exonérer des efforts nécessaires, l’idée qu’il existe à nouveau une « cagnotte » propre à régler nos problèmes sans douleur. On se souvient du débat surréaliste auquel avait donné lieu, sous le gouvernement Jospin, l’apparition inattendue d’une réduction de l’énorme déficit budgétaire de l’époque : majorité et opposition avaient alors rivalisé pour proposer des dépenses nouvelles, en confondant dans une commune allégresse un moindre déficit et un pactole de ressources nouvelles !


En revanche, si l’initiative est bien conçue, elle peut contribuer à réconcilier les Français avec leur propre économie, avec la compréhension du monde d’aujourd’hui, et avec l’Europe. Cela exige d’inventer des formules originales, mais pourquoi la créativité financière serait-elle un monopole des golden boys avides de maximiser leurs revenus personnels au détriment de l’intérêt général ?


Pour éviter d’emblée toute tentation malsaine, deux garde-fous doivent être posés.


Du côté des recettes, il serait extravagant que cet emprunt populaire vienne aggraver l’endettement himalayen de l’Etat – plus de mille milliards. Il s’agit donc d’inviter les citoyens – de « petits porteurs » – à se substituer en partie aux intermédiaires financiers qui souscrivent des bons du Trésor à longueur d’année. Et poursuivre sans relâche la nécessaire réduction des dépenses publiques devenues inutiles, comme la France a tant tardé à le faire.


Du côté des dépenses, il ne serait pas imaginable de recommencer à financer par l’emprunt des dépenses de fonctionnement, une situation digne de l’Ancien Régime, dont la France commençait à peine à sortir avant la crise. Quant aux dépenses d’investissement, tous les projets publics qui étaient mûrs ont déjà été pris en compte lors du plan de relance. Donc, pas question de financer un accroissement des dépenses publiques, qui dépassent déjà les 55% du PIB, un record mondial.


Ni recette nouvelle, ni dépense nouvelle, mais alors à quoi peut servir l’opération ?


A préparer l’avenir sur des bases nouvelles.


Dans nos échecs, n’accusons pas la concurrence « déloyale » de nos partenaires d’Europe de l’Est ou des pays émergents : depuis dix ans, la part de la valeur ajoutée de l’industrie française dans l’industrie de la seule zone euro a diminué d’un tiers ! Au-delà des effets mortifères des 35 heures, quelle est la faiblesse majeure de l’économie française ? L’insuffisance chronique des investissements industriels. Quelle est la maladie congénitale de nos entreprises ? Non point la natalité insuffisante, mais le nanisme : les petites entreprises se créent, dans toutes les activités, et le rythme s’est encore accru spectaculairement avec le statut des auto-entrepreneurs. Mais une malédiction empêche les petites entreprises de devenir moyennes, et les moyennes de devenir grandes : toutes les multinationales françaises actuelles existaient déjà il y a un demi-siècle, alors que toutes les multinationales de la révolution informatique et internet ont été crées depuis vingt ans par des étudiants sans le sou dans un garage californien. De même, les grosses PME du « Mittelstand » qui font la force de l’industrie allemande n’ont que trop peu d’équivalentes de ce côté du Rhin.


Pourquoi alors ne pas mettre le crédit de l’Etat au service de la recherche et de l’investissement industriels, notamment dans les technologies nouvelles ? Le souscripteur aurait le choix entre prêter à l’Etat contre un intérêt fixe soumis à la fiscalité ordinaire, ou prendre une participation dans une start-up ou dans une entreprise innovante de leur choix. Celui-ci serait guidé par une notation effectuée par un organisme spécialisé du type Oséo. Il comporterait tous les éléments d’une participation au risque : en cas d’échec, possibilité de perte du capital investi ; en cas de réussite, perspective de dividendes élevés et de plus values. L’élément nouveau serait la défiscalisation de ces prises de participation et celle de ces gains au moins pendant cinq ans. Les Français seraient ainsi fortement incités à devenir tous des « business angels ». La justice fiscale y gagnerait : pourquoi ce type d’avantage resterait-il réservé, comme aujourd’hui, aux assujettis à l’ISF ?


Le dispositif aurait une autre vertu : celle de s’étendre quasi mécaniquement aux entreprises européennes. Car les lois européennes nous empêchent de faire bénéficier d’une aide publique les seules entreprises françaises. En mettant son plan au point, la France pourrait proposer, soit à toute l’Union européenne, soit à ceux de ses partenaires que la démarche intéresse, de suivre son exemple. L’Europe se donnerait ainsi les moyens de se rapprocher de l’objectif qu’elle s’était fixée il y a près de dix ans à Lisbonne : retrouver sa compétitivité par l’investissement massif, notamment dans l’économie de la connaissance. Il ne serait pas difficile de concevoir l’organisme financier, existant ou à créer, pour coordonner le dispositif entre les partenaires concernés.


Voilà longtemps que l’importance des besoins d’emprunt de l’Etat fait subir aux entreprises un « effet d’éviction » sur les marchés financiers. Cet effet commencerait ainsi à s’inverser. Certes, au plus fort de la crise, les banques et l’industrie automobile ont été bien heureuses de bénéficier du crédit public qui se substituait à leur propre crédit soudain défaillant. Mais une fois passée la crise, il faut rebâtir sur des principes sains : désengager l’Etat là où son rôle de SAMU est achevé, réduire les déficits publics, donner la priorité au financement de la création de richesse, donc de l’investissement industriel et de la recherche, par les épargnants européens pour créer des emplois nouveaux en Europe.


Alain LAMASSOURE, le 7 juillet 2009