Mauvais brouillard sur la Manche
La crise financière a mis au jour les fragilités de tous les grands pays européens. Comme on pouvait le craindre, ce terrible révélateur a été cruel pour notre cher hexagone, qui a tant tardé à engager les réformes nécessaires et qui est toujours drogué à la dépense publique. Mais la plus mauvaise surprise est venue de Grande-Bretagne : en quelques mois, la sémillante image du pays de Tony Blair a été victime de la terrible malédiction du portrait de Dorian Gray.
L’Angleterre ne sait plus où elle est. Son navire amiral, la prestigieuse City de Londres, est soudain apparu gouverné par des aveugles. La glorieuse livre sterling est ravalée au niveau d’une monnaie insulaire. La presse locale se déchaîne contre Westminster, la mère de tous les Parlements, peuplée de députés et de ministres trichant sur leurs factures personnelles. Malgré les tombereaux de crédits supplémentaires déversés depuis quelques années, les services publics de la santé, de l’éducation et des transports ne rattrapent pas le retard accumulé, disons, sur le modèle scandinave.
Mais il y a plus grave : l’Angleterre ne sait pas non plus où elle va. Faut-il reconstruire l’économie en réhabilitant l’industrie et les technologies de pointe, ou en confirmant la priorité absolue aux services financiers ? Ceux-ci doivent-ils être soumis à un cadre législatif nouveau, ou vaut-il mieux refaire confiance à leur fantaisie créatrice ? La liberté absolue des rémunérations des golden boys qui font la fortune de Londres, et parfois sa ruine, est-elle durablement compatible avec la justice sociale mise en avant par un gouvernement de gauche ? Peut-on plaider l’ouverture au monde dans tous les domaines, et se fermer peu à peu à l’Europe ? Mise à part la litanie très orthodoxe du credo écologiste, désormais partagé par tous les partis politiques du monde occidental, le parti conservateur et son jeune leader David Cameron ne donnent pas l’impression d’être en mesure aujourd’hui d’apporter des réponses plus précises aux grands problèmes du pays.
Le résultat des élections européennes, et ses suites, montrent même une Grande-Bretagne tentée par un repli inquiétant derrière les brumes océanes. Plus de la moitié des eurodéputés britanniques ont choisi de siéger dans trois groupes insolites et différents, qui rivalisent dans l’euro scepticisme : les conservateurs ont quitté le Parti populaire européen d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, jugé trop « européen », pour s’allier avec les Polonais des frères Kackzinski et les Tchèques de Vaclav Klaus ; né il y a cinq ans, le parti UK Independence a fait élire 13 députés sur le projet d’une sortie pure et simple de l’Union européenne ; depuis le 7 juin, il est pourtant dépassé sur sa droite par un nouveau venu, le British National Party, dont le leader a proposé publiquement d’arrêter l’immigration en coulant les bateaux de clandestins en Méditerranée. Désormais totalement absents du PPE, le groupe le plus important du Parlement, inférieurs aux Allemands, aux Français, aux Italiens et aux Espagnols dans le groupe socialiste, réduits à deux députés chez les Verts, les Britanniques donnent l’impression de s’être volontairement mis sur la touche – « ils marchent en somnambules sur les rebords de l’Europe » a écrit un correspondant du « Financial Times » le 10 juillet.
La solidité des institutions britanniques et la formidable capacité de nos amis de faire face aux défis les plus redoutables nous permettent de garder confiance pour l’avenir. Mais leurs faiblesses actuelles, et la traduction anti-européenne de celles-ci, sont une très mauvaise nouvelle pour la famille européenne. On demande un Winston Churchill du nouveau siècle.
Alain LAMASSOURE, le 15 juillet 2009.