Que fais-je dans l’Eglise catholique?


« Mgr X se trompe, quand il met le préservatif à l’index … » L’humour d’André Santini, qui s’exprimait en l’espèce il y a déjà quelques années, est le meilleur commentaire que l’on puisse faire sur les propos tenus cette semaine par le Pape à son arrivée en Afrique.


Seulement, ça commence à faire beaucoup.


Dans ses Mémoires bouleversantes, Jean-René Etchegaray rappelle l’enthousiasme avec lequel la jeune génération catholique avait vécu le concile Vatican II : d’un seul coup, l’Eglise rattrapait le temps perdu et épousait son siècle. Sur ses racines juives, et les relations avec les autres religions. Sur la paix entre les nations, et le respect entre les peuples. Sur l’économie sociale de marché. Sur la liberté contre le totalitarisme. Sur la modernisation de la liturgie et des sacrements. Et finalement, sur le message de l’Evangile, que nul n’a mieux résumé que Saint Augustin : « Aime, et fais ce que tu veux ! » Depuis, sur tous les continents, clercs ou laïcs, d’innombrables anonymes nous donnent, par leur exemple, le meilleur de la foi.


Hélas, Vatican II remonte à plus de quarante ans. Et après la parenthèse lumineuse de Jean-Paul II, qui invitait les chrétiens au courage contre toutes les formes d’aliénation ou de résignation (« N’ayez pas peur » !), l’Eglise donne l’impression d’avoir repris un siècle de retard. Sa persistance assumée dans l’incompréhension de la dimension sexuelle de la vie humaine aboutit au déni confondant des enseignements de la science contemporaine, de la réalité humaine et, finalement, de l’exigence fondamentale de la charité.


Comment peut-on justifier, au XXIe siècle, que l’Eglise refuse l’égalité de l’homme et de la femme au sein de sa propre organisation, en interdisant aux filles d’Eve de délivrer les sacrements ? Faudra-t-il que nos soeurs menacent de boycotter toutes les cérémonies religieuses jusqu’à ce que leur soit reconnue la pleine égalité spirituelle ?


Combien de tragédies pédophiles faudra-t-il encore pour délivrer les prêtres de l’obligation de chasteté ? Non seulement ce fardeau se révèle trop lourd pour beaucoup d’entre eux, mais l’interdiction de la vie commune est parfaitement contre-productive pour permettre aux autres de comprendre ce qu’est la vie familiale, c’est-à-dire tout ce qui ne s’apprend pas dans les bréviaires mais au plus intime de la vie personnelle.


J’ai connu, dans ma chair, le drame de la séparation conjugale. Ma femme a demandé le divorce pour pouvoir se remarier. Toute ma vie s’écroulait. Après cinq ans de solitude, je me suis remarié à mon tour. Ce simple fait m’a excommunié de l’Eglise catholique, et ce second mariage n’a même pas pu recevoir une simple bénédiction. L’Eglise croit avoir tout dit en répétant « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ! » Ce faisant, elle choisit d’oublier que le mariage est le seul sacrement qui n’est pas donné par un prêtre, mais par les époux eux-mêmes. Et surtout, elle condamne l’époux abandonné à la solitude à vie, elle méprise l’objectif primordial, qui est l’intérêt des enfants, et elle s’entête à fermer les yeux sur les modes de vie de notre temps : un mariage sur deux se termine aujourd’hui par un divorce. Tandis qu’une proportion non négligeable des paroissiens vit dans le « péché » des relations « coupables » entre personnes du même sexe. Par quelle perversion un message d’amour a-t-il pu aboutir à une telle machine à excommunication de masse ?


Depuis la découverte de la pilule contraceptive, l’Eglise semble prise de panique devant tout ce qui touche de près ou de loin à la sexualité. Elle est dans son rôle éminent quand elle rappelle la dimension spirituelle des problèmes posés par l’interruption volontaire de grossesse, les recherches sur l’embryon, la procréation médicalement assistée, la naissance de « bébés-médicaments », ou l’accompagnement de la fin de la vie. Mais elle se met hors jeu quand elle apporte à ces questions complexes et douloureuses des réponses simplistes, en ignorant l’exigence première de la charité. Et elle se ridiculise, comme l’illustre le malicieux Santini, quand ses plus hautes autorités fulminent contre l’usage intime du caoutchouc !


Dans quel Evangile nos docteurs en théologie ont-ils donc appris que le sexe est impur, que l’abstinence sexuelle est l’épanouissement de la condition humaine, que l’amour charnel n’est qu’un mal nécessaire, que la procréation est la seule excuse au plaisir des sens, que le bonheur des enfants, des parents ou des célibataires est moins important que le respect de dogmes énoncés il y a mille ou deux mille ans, bref que c’est la lettre qui vivifie et l’esprit qui tue ?


Que fais-je encore dans cette Eglise, qui me refuse le pardon, alors qu’elle-même a tant à se faire pardonner si elle croit encore au message inouï de son propre Dieu ?


Alain LAMASSOURE, le 21 mars 2009