L’Europe et le problème israélo-palestinien
La solution du problème israélo-palestinien sera le vrai test de la capacité des Européens à défendre ensemble un intérêt commun majeur sur la scène internationale.
Voilà maintenant soixante ans qu’est posé le problème de la cohabitation des Israéliens et des Palestiniens ! Soixante ans que des « réfugiés » sans terre sont entretenus dans des camps financés par l’ONU : trois générations successives de Palestiniens y ont été élevées dans la haine d’Israël – aboutissant, sans surprise, au mouvement extrémiste du Hamas.
Les paix séparées conclues avec l’Egypte et la Jordanie et les accords d’Oslo ont eu le mérite de réduire le conflit israélo-arabe à un conflit israélo-palestinien. Mais depuis septembre 2001, il s’est de nouveau étendu, cette fois à un conflit entre le monde musulman et l’Occident – le « conflit de civilisations » qu’annonçait Samuel Huntington et que cherche ardemment Al Qaida. Chaque image sanglante venue de Gaza ou de Sderot provoque spontanément une solidarité de tous les musulmans avec les Palestiniens, contre Israël et ses soutiens américains et « occidentaux », et celle des communautés juives avec Israël. Ce n’est plus seulement de la « rue arabe » qu’il est question. Il s’agit du cœur de nos villes et de nos banlieues. Comment en est-on arrivé là ?
Seule démocratie de la région, Israël s’est malheureusement doté d’un système politique qui interdit à ses dirigeants de sortir de la contradiction entre le court terme et le long terme. A long terme, la création d’un Etat palestinien indépendant est la seule manière de garantir l’existence même de l’Etat hébreu : ce n’est pas une bombe islamique qui le menace, c’est la simple évolution démographique, localement favorable aux Palestiniens musulmans. Mais le système électoral de la proportionnelle intégrale fait de chaque gouvernement israélien l’otage de petits partis religieux extrémistes, rendant la moindre concession extraordinairement difficile – comme c’était le cas pour notre IVe République face à la guerre d’Algérie. Faute d’un de Gaulle israélien ou/et d’une version locale de la Ve République, la solution est donc plutôt à chercher à l’extérieur.
L’extérieur, depuis 1956, ce sont les Etats-Unis et eux seuls. Or, contrairement à l’idée qu’on peut se faire en Europe, pour Washington le problème israélo-palestinien n’est une priorité que de manière épisodique. C’est si vrai que George Bush a été capable de l’ignorer pendant les sept premières années de son mandat de huit ans ! En l’absence d’une communauté musulmane significative sur leur propre sol, susceptible de peser sur sa politique étrangère, les Etats-Unis ont pris l’habitude de soutenir systématiquement la position du gouvernement israélien du moment. Depuis Oslo, aucun Président des Etats-Unis n’a osé forcer la main d’un Premier Ministre israélien.
Et l’Europe ? En 1980, la première initiative d’une coopération européenne de politique étrangère, la « déclaration de Venise », avait eu l’audace d’évoquer pour la première fois le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Mais, trente ans après cette hirondelle, on attend toujours le printemps. Les Etats européens ont beaucoup parlé et beaucoup payé, mais ils ont finalement privilégié le chacun pour soi, sans oser remettre en cause un leadership américain jugé naturel dans la région.
C’est là le plus étonnant, et le plus scandaleux. Cela fait tout de même deux mille ans que le destin des trois rives de la Méditerranée – le nord, le sud et l’est – est lié pour le meilleur et pour le pire. De la déclaration Balfour à la shoah, ce sont les tribulations de la politique européenne qui ont été à l’origine de la conception de l’Etat d’Israël. Non seulement la géographie rend Paris – sans parler de Chypre – plus proche de Jérusalem que ne l’est Washington, mais encore l’Islam est devenue la deuxième religion dans la quasi-totalité des pays d’Europe de l’ouest, où la plupart des juifs sont les enfants des survivants du génocide ! Enjeu lointain et ponctuel pour les Etats-Unis, le conflit israélo-palestinien est, pour nous, Européens, un problème de voisinage immédiat, qui remue chez nous d’immenses douleurs historiques, et qui peut devenir soudain un problème intérieur redoutable.
La clef du problème reste à Washington, mais si l’Europe est capable de s’unir comme elle l’a fait l’été dernier lors du conflit russo-géorgien, elle peut convaincre l’administration américaine de placer celui-ci en tête de son agenda. Avant l’Irak. Avant l’Afghanistan. En ce début 2009, Nicolas Sarkozy a eu le mérite de s’investir personnellement dans le retour de la paix à Gaza. Mais la France seule restera impuissante à forcer une solution ultime. L’Union européenne, qui tient financièrement l’Autorité palestinienne à bout de bras, et les Etats-Unis, dont Israël dépend étroitement, ont la capacité, avec le soutien des pays arabes modérés, de faire prévaloir la paix à laquelle aspire l’immense majorité des malheureuses populations locales. C’est maintenant.
Alain LAMASSOURE, le 1er février 2009