L’élection d’Obama: portée et limite


La fête de l’inauguration de Barack Obama voit nos médias faire une nouvelle poussée de fièvre obamaniaque. Essayons de dépasser l’aspect « people » pour mieux mesurer la portée de l’élection du sénateur de l’Illinois.


En Amérique même, la victoire de Barack Obama est celle des Etats-Unis sur les fantômes de leur passé. Le fait que l’origine africaine du candidat démocrate n’ait joué quasiment aucun rôle dans le vote des électeurs est une preuve éclatante de la santé de la société démocratique américaine. Et cette victoire change le regard que le reste du monde porte sur l’Amérique : la superpuissance renonce finalement à imposer la démocratie par la force, balaye ainsi devant sa porte, et choisit de prêcher par l’exemple, en offrant un visage africain comme interlocuteur aux autres dirigeants de la planète. Ce faisant, elle retrouve la respectabilité et le pouvoir de fascination qu’elle avait perdus sous George Bush.


C’est beaucoup, mais … pour l’instant c’est tout. Dès le 21 janvier, l’élu change d’image : il devient le responsable, en charge de toutes les difficultés de son pays, et aussi d’une grande partie des malheurs du monde. Il sera désormais jugé sur ses actes, et non plus sur son profil hollywoodien, son éloquence émouvante, son immense talent électoral et son histoire personnelle : dans les grandes tempêtes, on ne demande au capitaine que d’être un grand marin.


Par cet exemple d’ouverture, les Etats-Unis font-ils œuvre de pionniers ? Moins que ne le disent les médias, à la mémoire de poissons rouges. Il fallait aux électeurs allemands une belle ouverture d’esprit pour élire à la chancellerie une femme venue de l’ex-RDA – le bureau ovale attend toujours un locataire féminin. Obama n’est pas un descendant d’esclave, mais le fils d’un immigrant kenyan marié à une Américaine d’origine européenne: certes, Nicolas Sarkozy n’est pas noir, mais le fait que, en plein malaise sur la politique migratoire, les Français aient pu élire le fils de deux immigrants de première génération sans que ce fait ne pèse en quoi que ce soit sur l’élection n’est pas moins remarquable que ce qui s’est passé en Amérique un an plus tard.


Et seul notre dédain coupable pour les autres continents nous a empêchés d’admirer l’exemple le plus extraordinaire de participation des représentants de minorités aux plus hautes charges de l’Etat : l’Inde. Pourtant constituée, à son origine, comme un Etat de caractère fortement hindou, l’Union indienne a été capable d’élire un Président musulman dès 1967 (Zakair Hussain) ; deux autres l’ont été depuis. En 1997, elle a même porté un « intouchable » à la tête de l’Etat (Kocheril Raman Narayanan) ! A l’heure actuelle, la présidence est assurée par une femme, une Italienne, Sonia Gandhi, dirige le parti au pouvoir, c’est un sikh qui est Premier ministre, tandis que le principal industriel du Pays, Tata, appartient à la petite minorité parsi : on avouera qu’il est difficile de faire mieux.


Ces exemples pourraient inspirer d’autres pays. Les situations les plus diverses existent en la matière. Et on observera que certains de ceux qui étaient les plus durs critiques de l’organisation politique américaine continuent de considérer comme inimaginable l’équivalent d’un Obama local – c’est-à-dire du représentant d’une minorité ethnique, religieuse, culturelle ou historique.


Depuis son indépendance, il y a près d’un demi-siècle, et bien qu’avocate ardente des droits du peuple sahraoui hors de ses frontières, l’Algérie n’a promu, en tout et pour tout, que trois de ses Noirs sahariens : le patron de la centrale syndicale UGTA dans les années 70, puis un général, et enfin, Hamid Bessalah, actuel Ministre de la Poste et des Technologies de l’information, le seul Noir parmi les 36 membres du gouvernement algérien.


L’Amérique latine présente un cas très intéressant. Les descendants d’immigrés non européens ont pu y faire carrière relativement tôt, comme l’attestent, il y a une vingtaine d’années, les victoires d’Alberto Fujimori au Pérou et de Carlos Menem, d’origine syro-libanaise, en Argentine. En revanche, il aura fallu deux siècles pour qu’un représentant de la population indienne autochtone accède à la présidence d’une république latino-américaine (Evo Morales en Bolivie).


Il paraîtrait incongru à beaucoup d’admirateurs locaux d’Obama qu’un copte prenne le pouvoir en Egypte, un Kurde en Turquie, un chrétien – sans même mentionner un musulman – en Israël, un descendant de Chinois en Indonésie ou un Blanc dans l’ancien pays de l’apartheid. Dans combien de pays musulmans la conversion au christianisme n’est-elle pas un délit pénal ? Mais il ne faut pas croire que l’Europe est totalement exempte de ce genre de sentiment : essayez donc de plaider la cause d’un Wallon comme Premier ministre en Belgique, d’un « non citoyen » d’origine russe en Lettonie, ou d’un turcophone en Bulgarie ! Et même chez nos voisins britanniques, inventeurs de la démocratie parlementaire et de la plus ancienne formulation des droits de l’homme – le Bill of Rights de 1688 -, le très populaire Tony Blair a préféré attendre d’abandonner la vie politique avant de se convertir au catholicisme.


D’autres pays ont cherché dans leur Constitution le moyen d’assurer la représentation des principales minorités, quels que soient les résultats électoraux. De tels arrangements ont souvent été conclus pour mettre fin à une longue guerre civile, ou pour la prévenir. A un titre ou à un autre, c’est le cas du Liban, de la Macédoine, de la Bosnie-Herzégovine, du Burundi, du Soudan, de l’Angola, ainsi que des pays scandinaves à l’égard du petit peuple inuit. Et toutes les solutions envisagées pour l’avenir de Chypre tournent aussi autour d’une formule bicommunautaire.


Enfin, dans beaucoup de pays, on se trouve dans la situation inverse d’un régime organisé pour assurer la domination d’une minorité sur la majorité, celle-là pouvant parfois faire valoir la nécessité de lutter pour sa survie contre celle-ci. On pense évidemment au malheureux Rwanda, mais ce cas est loin d’être isolé : la faiblesse congénitale du régime de Saddam Hussein résidait dans la dictature imposée par la minorité sunnite contre la majorité chiite – et la réussite d’une réforme un tant soit peu démocratique en Irak suppose que celle-ci soit mise hors d’état d’abuser de la majorité dont elle bénéficiera demain dans les urnes. La situation de la Syrie des el-Hassad est comparable, où les alaouites contrôlent le pouvoir alors même qu’ils ne constituent que 10% de la population.


Barack Obama saura-t-il faire des émules hors des Etats-Unis, et particulièrement sur le continent de ses pères ? Ce ne serait pas le moindre de ses succès.


Alain LAMASSOURE, le 20 janvier