L’Europe après Sarkozy


Gauche et droite, petits et grands pays, Européens et non Européens, tout le monde en convient : sous le leadership de Nicolas Sarkozy, l’Europe politique a existé pour la première fois sur la scène internationale. L’Union européenne s’est accordée sur une politique commune de l’immigration. Elle a tenu tête à la Russie dans la crise géorgienne. C’est l’annonce de son plan de sauvetage, et non le plan américain, qui a mis fin au collapsus de la finance mondiale. Malgré la crise, elle est devenue la seule puissance dotée d’une politique ambitieuse de lutte contre le changement climatique jusqu’en 2020.


Est-il possible de maintenir cet élan ? Je suis de ceux qui pensent que la République tchèque nous surprendra agréablement, mais ce n’est pas lui faire injure que de penser que, à supposer qu’une telle volonté politique existe à Prague, elle ne dispose pas à elle seule d’une telle puissance d’entraînement. Aussi tous les Européens s’interrogent-ils : pour l’Europe politique, y-a-t-il une vie après Sarkozy ? Tandis que les observateurs français malicieux se demandent : pour Nicolas Sarkozy, la politique a-t-elle le même intérêt une fois finie la présidence de l’Europe ?


Un double « oui » est parfaitement possible. Ne serait-ce que parce que, la France de Nicolas Sarkozy continuera de jouer un rôle-clef sur tous les sujets ouverts ces derniers mois. Limitons-nous aux deux grands rendez-vous internationaux du printemps prochain. Initiatrice du premier G20, qu’elle a préparé en liaison étroite avec Gordon Brown, la France sera naturellement très écoutée lors de la prochaine réunion de Londres, la première à laquelle participera Barack Obama. Quelques jours plus tard, c’est à Strasbourg que s’ouvrira le Sommet de l’OTAN, dont l’enjeu principal sera la réponse américaine à la proposition faite par Nicolas Sarkozy dès le lendemain de son élection : la France est prête à réintégrer l’organisation militaire de l’alliance si les Américains donnent enfin le feu vert à une Europe de la défense.


Toutefois, étant privée de la légitimité donnée par l’exercice de la présidence, la France doit trouver des moyens différents pour inspirer la politique des 27. C’est une nouvelle méthode à inventer. Le pragmatisme propre au Président français devrait le conduire à changer ce qui ne marche pas, reprendre ce qui a toujours marché, et innover dans le choix des sujets à traiter.


1 – Les initiatives purement individuelles seront désormais fortement déconseillées. On l’a vu lors du lancement du projet d’Union méditerranéenne, comme, en juillet dernier, à propos de la réponse à la hausse du prix du pétrole. Si efficace en France, la méthode consistant à jeter un pavé dans la mare, puis ignorer les réactions prévisibles des partenaires naturels, pour obliger ensuite ceux-ci à se rallier sous la pression de l’opinion, ne marche pas sur l’échiquier européen : dans l’état actuel des traités, un dirigeant européen ne se préoccupe que de son opinion nationale, qui l’influence infiniment plus que n’importe quel collègue étranger. Donc, chaque fois que nous voulons lancer une idée, informons, associons, interrogeons la présidence du moment, les principaux partenaires européens – qui ne sont pas toujours les plus grands -, la Commission, le Parlement.


2 – Il n’est plus possible de faire l’économie du retour au grand classique de la relation privilégiée franco-allemande. Certes, dans un club de près de trente membres, il n’y a aucune raison pour qu’elle soit exclusive. Mais elle demeure un préalable à toute initiative crédible. Il faut se réjouir de l’entente cordiale nouée depuis la crise financière entre Paris et Londres, sans se faire trop d’illusions sur son caractère durable. Nos amis britanniques sont-ils prêts maintenant à honorer les engagements solennels pris jadis par Tony Blair sur l’entrée dans l’euro ? Acceptent-ils de renoncer à leur rôle historique d’intermédiaire entre Washington et l’Europe, maintenant que l’Elysée n’a plus aucune réticence à négocier directement avec la Maison Blanche ? Vont-ils mettre fin à leur permanent travail de sape des efforts de construction d’une Europe militaire, qui n’ont cessé, depuis dix ans, de contredire les intentions proclamées par Downing Street ? A supposer que la chute de la livre sterling aide le Premier Ministre actuel à trouver son chemin de Damas, son jeune rival David Cameron, largement favori pour les prochaines élections, fait campagne en proposant que les Conservateurs quittent la famille du Parti populaire européen, celui de l’UMP et de la CDU, dont il rejette catégoriquement l’engagement communautaire : bonjour le symbole ! Il y a certes un tunnel sous la Manche, mais il y a toujours un mur entre Londres et Bruxelles. Bien plus épais que du béton : un mur de préjugés.


3 – C’est évidemment sur le choix des sujets à traiter que la France doit continuer de se battre pour garder la politique au cœur de l’Europe, en évitant à celle-ci de retomber dans le ron-ron des agendas bruxellois. Citons-en trois, qui surprendront.


– L’Irlande. Malgré les conclusions rassurantes du dernier Conseil européen, le problème posé par l’échec du référendum irlandais reste entier. Le Premier Ministre irlandais s’est engagé à organiser un second référendum pour lever l’obstacle avant le mois de novembre. Le 7 juin prochain auront lieu les élections européennes, auxquelles s’ajouteront, en Irlande, les élections locales : affaibli par l’échec électoral de juin dernier, par sa gestion de la crise financière et par la situation économique, hélas, probable du printemps prochain, le gouvernement actuel a toutes les chances de subir un revers sévère. Comment croire qu’il sera alors en mesure de gagner un second référendum sur le traité de Lisbonne ? Or, il n’est pas trop tard pour adapter le calendrier et la méthode. La France pourrait y aider, parachevant ainsi le seul ouvrage que sa présidence a laissé sur le métier. Celui dont l’échec compromettrait tout l’acquis de ces six mois de présidence.


– Le budget européen. Derrière la crise institutionnelle, ouverte par l’échec des référendums, l’Union fait face à une crise tout aussi grave, passée inaperçue : la crise budgétaire. Traité après traité, année après année, plus les compétences de l’Europe augmentaient, plus les attentes étaient grandes, plus ses ressources financières diminuaient ! En 2009, en proportion du revenu total européen, le budget communautaire est inférieur d’un quart au montant que la très eurosceptique Margaret Thatcher avait accepté il y a plus de vingt ans ! En pleine crise économique, alors que tous les budgets nationaux explosent pour soutenir la croissance, le budget européen de 2009 a été voté en baisse de 4 milliards d’euro. Aucune institution, aucun parti politique n’y a trouvé à redire ! Comme si on pouvait faire plus d’Europe avec moins d’argent.


Cette situation aberrante s’explique par le mode de financement du budget européen : il repose sur des contributions des budgets nationaux. N’ayant de comptes politiques à rendre qu’à leurs citoyens, les gouvernements refusent d’augmenter leurs impôts ou leur endettement pour l’intérêt commun européen. L’Allemagne ne fait ici que dire tout haut ce que tous les Ministres des Finances plaident en permanence.


Sur ce problème essentiel et délicatissime, on ne part pas de zéro. Voilà quatre ans que nous y travaillons entre le Parlement européen et les Parlements nationaux. Un consensus assez large se dégage sur le diagnostic, sur les orientations politiques de la réforme souhaitable, et sur les pistes à explorer pour trouver de nouvelles ressources. Et comme un accord politique était intervenu pour rouvrir le dossier autour de 2008 – 2009, une initiative forte ne serait pas illégitime.


– Le citoyen européen. C’était un secret bien gardé, mais il a fini par percer l’indifférence médiatique : l’Europe des personnes a vingt ans de retard sur l’Europe des entreprises. En juin dernier, j’ai remis au Président de la République un rapport sur la manière de traiter les problèmes les plus concrets de la vie quotidienne du citoyen européen : droit de séjour, droit du travail, mariages mixtes, reconnaissance des diplômes, remboursement des frais de santé, binationalité … En m’appuyant sur les représentants des Européens installés en France et sur l’assemblée des Français de l’étranger, j’ai fait une soixantaine de propositions précises, dont aucune n’est coûteuse et aucune n’exige un nouveau traité. Il faut et il suffit une formidable volonté politique : celle qui est nécessaire pour bousculer vingt-sept bureaucraties nationales, plus la routine communautaire. Après les grands dossiers internationaux, quels sujets peuvent mieux réconcilier les citoyens avec l’Europe ? Voilà un chantier tout balisé, qui n’attend qu’un bulldozer …


Alain LAMASSOURE, le 21 décembre 2008