Vive le pétrole cher!
Avec la crainte de l’effet de serre, nous avons inventé la « pensée unique » planétaire.
On peut la décomposer en une demi-douzaine d’observations, analyses, conjectures et conclusions présentées désormais comme un tout indissociable, mais qu’il n’est pas inutile de distinguer car elles n’ont pas toute la même valeur scientifique. Rappelons-les.
La température moyenne de la terre se réchauffe depuis le début de l’âge industriel, avec un accélération très sensible sur les dernières décennies ; ce phénomène est principalement due à l’activité humaine, à travers les émissions de CO2, dont l’accumulation en haute atmosphère provoque un « effet de serre » ; ses conséquences sont catastrophiques et irréversibles pour la terre en général, l’espèce humaine en particulier, et les pays pauvres en tout premier lieu ; ni les forces biologiques de la vie végétale et animale (mutations, migrations, éclosion d’espèces nouvelles), ni les moyens habituels des sociétés humaines (migrations, créativité scientifique, mécanismes traditionnels du marché) ne pourront compenser, ni, a fortiori enrayer, cette évolution proprement apocalyptique ; l’humanité tout entière doit donc se mobiliser dans un effort sans précédent, comprenant un changement radical de ses modes de production et de ses modes de vie ; si l’actuelle génération y parvient, l’apocalypse sera évité.
Ces six postulats sont acceptés en Europe, et spécialement en France, comme le fut, en d’autre temps, le décalogue de Moïse : avec une foi religieuse. La formule choquera les laïques que nous prétendons être, mais seule une inspiration de cette nature peut expliquer l’adhésion en bloc aux six maillons de la chaîne – la mise en doute d’un seul ferait s’effondrer toute la démonstration – et sa déclinaison comme une exigence bien moins politique que morale. C’est une nouvelle forme de foi qui élève au pinacle d’aujourd’hui – la « sainteté » télévisuelle – les prophètes inspirés de cet évangile sans dieu, et qui réserve aux rares impies le pire supplice de notre temps : le lynchage médiatique. Qu’il est doux de haïr Claude Allègre, un géologue qui ose placer sa science au-dessus de la foi des fabricants d’images (télé) pieuses, avec une malignité qui a tout de luciférien !
Eh bien, soit ! Acceptons de communier, hormis le lynchage, dans cet élan mystique d’une échelle sans précédent. Décidons d’y voir la première manifestation d’une volonté de solidarité authentiquement planétaire. Réjouissons-nous de constater qu’à l’aube de la « mondialisation », qui comporte tellement de risques de conflits et de drames, une réponse spontanée est proposée pour rassembler le monde entier dans un projet commun, miraculeusement pacifique. Admirons que la communauté scientifique, les églises, et même les multinationales joignent leurs chœurs, habituellement discordants, à l’harmonie du concert global. Souvenons-nous qu’après tout, de la construction des pyramides à la conquête spatiale, en passant par les grandes découvertes, bien des grands projets humains devaient plus à la passion qu’à la raison pure, et que bien peu étaient d’une inspiration aussi irénique. Renonçons à douter de ces météorologues savants, que le même principe de précaution conduit à réduire à 50% la probabilité de leurs propres prévisions pour la fin de la semaine, et à accorder 100% à celle de la température annoncée pour la fin du siècle. Refusons la mesquinerie de Saint Thomas et le rôle grincheux du rabat-joie. Plongeons, nous aussi, dans l’eau lustrale de ce consensus rassembleur.
Et poussons notre premier « Alléluia ! » : le prix du pétrole augmente, augmente, augmente plus vite que la température de l’atmosphère ! La terre est sauvée !
La terre est sauvée puisque, depuis que les gourous du climat se sont réunis à Rio, puis à Kyoto, pour se désoler de constater que l’intérêt économique à court terme, poussant à gaspiller l’énergie émettrice de CO2, était contraire à l’intérêt planétaire à long terme, le prix de cette énergie « sale » a été multiplié par dix ! Et voilà que les meilleurs spécialistes, économistes et industriels, nous disent qu’il nous faut nous habituer à vivre durablement avec cette énergie chère.
La terre est sauvée, parce que cette hausse générale du prix des hydrocarbures, s’étend spontanément à toutes les sources d’énergie et au monde entier. Elle frappe les Américains comme les Européens, les Chinois et les Indiens comme les Brésiliens. Elle rend possible l’action immédiate pour lutter contre l’effet de serre, sans courir le risque de délocaliser les activités et les emplois. Elle place tout le monde devant l’obligation de la vertu. Elle réconcilie nos égoïsmes à la petite semaine et la plus haute de nos ambitions humaines. Industriels, transporteurs, agriculteurs, automobilistes, familles : chacun a désormais intérêt à économiser l’énergie, et à opter pour des formes d’énergie propres.
Et pourtant, l’enthousiasme sincère du néophyte retombe vite : en-dehors de lui, personne ne crie « victoire » ! Au contraire, cette aubaine inattendue suscite ronchonnements chez les producteurs, mécontentements chez les usagers, indignations dans les métiers les plus énergétivores, et engagements déterminés des gouvernements à y mettre fin : du jour au lendemain, l’imagination employée à trouver des impôts pour pénaliser l’énergie « sale » est reconvertie dans la recherche de solutions fiscales pour la rendre moins chère !
On peut comprendre que la brutalité de la hausse ait surpris, et que ses effets trop rapides aient été jugés inopportuns à un moment où la préoccupation majeure portait sur le pouvoir d’achat. Mais si la planète est aussi en danger qu’on le dit, quelle formidable occasion de faire la pédagogie nécessaire ! Et quelle conjoncture inespérée si, pour des raisons imprévues – la relative pénurie d’hydrocarbures -, le prix de marché produit tout seul et tout de suite le résultat que l’on rêvait d’atteindre au bout de longues années : la reconversion d’une société de gaspillage vers une société de développement durable.
La naïveté du nouveau converti permet-elle de faire deux suggestions à nos grands prêtres ?
D’abord, sur ce sujet aussi, osons dire la vérité. Le discours politiquement correct sur les normes de construction, le choix des énergies douces, les éco-taxes, la fiscalité verte, la correction du dumping monétaire aux frontières, a trop longtemps entretenu les auditeurs dans l’idée qu’ils pourraient sauver la planète au prix de la seule vertu, par les efforts citoyens du tri sélectif quotidien, du recours à la cosmétologie « bio », et du remplacement du diesel par le GPL pour alimenter la soif inextinguible de leur 4×4 « commerce équitable ». Eh bien, non ! Le processus de Kyoto, le « Grenelle de l’environnement », comme, demain, les accords espérés à Copenhague auront un coût, et un coût élevé. Les entreprises le paieront en augmentation de leurs prix de revient, les familles le paieront en logements plus chers, en transports plus chers, en chauffage plus cher, voire en aliments plus chers. Qu’il faille éviter que les plus fragiles en supportent une part excessive, qui le contesterait ? Mais comment pouvions-nous croire qu’une transformation aussi radicale de notre mode de production et de notre façon de vivre aurait pu ne rien coûter à personne ?
Que ce coût supplémentaire soit imposé par la réglementation, qu’il soit l’effet d’un impôt, ou qu’il résulte tout simplement du prix du marché, de toute façon il réduira d’autant les bénéfices et le pouvoir d’achat.
Avec, toutefois, une différence importante : le prix du marché est le seul moyen d’assurer l’égalité de tous les pays et de toutes les activités devant l’effort nécessaire.
D’où la seconde suggestion. Puisque, par un heureux hasard, le marché est en train de réaliser tout seul la plus forte, la plus générale et la plus équitable des contraintes jugées nécessaires au sauvetage de la planète, ne faudrait-il pas au moins se demander s’il est encore nécessaire de poursuivre dans la voie bureaucratique, fiscale et unilatéralement européenne dans laquelle nous nous sommes engagés depuis plusieurs années ? Un accord bien compris avec les pays producteurs, non pas pour réduire le prix des énergies polluantes, mais, au contraire, pour le maintenir durablement à un niveau élevé, pourrait nous éviter de mettre en place un système kafkaïen de répartition arbitraire de « droits à polluer », qui risque de chasser hors d’Europe les emplois industriels en même temps que la pollution. Plus généralement, il pourrait nous épargner une montagne de réglementations administratives contraignantes, une cascade d’impôts dits « écologiques », et des torrents de sermons moralisateurs, que le baril à plus de 100 dollars rend, tous, inutiles.
Alain LAMASSOURE, le 21 juillet 2008